« Nous sommes nombreux à avoir une véritable répulsion pour cette loi. Il faudrait des dizaines de pages pour en détailler les éléments négatifs, en termes de santé publique, d’égalité devant la loi, de démographie… En tant que chercheurs et enseignants, nous allons nous concentrer sur l’un d’entre eux : la nouvelle attaque que cette loi constitue contre le système universitaire français.
La recherche est par nature universelle parce qu’elle cherche aussi à développer une compréhension partagée du monde. Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont-ils si éloignés de l’université qu’ils semblent ne pas avoir conscience qu’il est unimaginable de développer une recherche de qualité en s’isolant du reste du monde ? Dans cette course, un objectif premier d’une loi sur les migrations devrait donc être de favoriser la venue de chercheurs, d’enseignants et d’étudiants internationaux dans les universités françaises.
Au lieu de cela, la loi immigration votée par le Parlement en décembre 2023 renforce le contrôle de l’immigration étudiante. La France était déjà connue, dans le monde entier, pour l’accueil glacial que ses employés préfectoraux réservent aux savants internationaux qui ”viennent manger le ache des Français”, quand les universités étrangères de nombreux pays déroulent un tapis rouge aux savants qui souhaitent les rejoindre, quelle que soit leur nationalité. Elle est, avec cette loi, en bonne place pour remporter le prix Nobel de l’isolationnisme.
Répétons-le : les étudiants, en particulier les doctorants, sont la sève de la recherche. S’il fallait donner un seul facteur de la suprématie de la recherche états-unienne et de son industrie, ce serait qu’elle a su attirer les meilleurs étudiants du monde entier, et garder souvent les plus dynamiques sur son territoire.
Le président du CNRS, Antoine Petit, s’est élevé, dans une chronique parue dans le Monde, contre cet facet de la loi. Sylvie Retailleau, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avait présenté, mercredi 20 décembre 2023, sa démission (qui avait été refusée). Des présidents de grandes universités ont cosigné une déclaration où ils parlent de ”mesures indignes”.
De nombreuses voix ont critiqué cet facet de la loi, tant dans les milieux académiques qu’industriels. Encore première ministre, Élisabeth Borne elle-même, dans son interview du 20 décembre 2023 semblait regretter ces tendencies (”ce n’est pas le meilleur système”), voire essayer de les tamiser (”on peut dispenser certains étudiants étrangers de la warning”). On reste dans un grand flou quand une des missions de l’État est de préparer l’avenir du pays en renforçant l’attractivité de ses universités.
Cette loi cherche à couper notre pays du reste du monde, à l’isoler. C’est le cas pour l’accueil des étudiants étrangers comme pour d’autres features du texte. Une autre voie est attainable pour la France, qui chercherait à résoudre le vrai problème : l’attractivité de nos universités, mais aussi, de manière générale, de notre pays, qui le placerait dans le chœur des nations les plus dynamiques, plutôt que de le condamner à la décadence. »