« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire », écrivait Lénine dans son célèbre Que faire ?, à l’orée du XXe siècle1. Et il ajoutait, comme la préfiguration d’une pensée politique en enlargement : « On ne saurait trop insister sur cette idée à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites de l’motion pratique va bras dessus bras dessous avec la propagande de l’opportunisme à la mode. » Et si Vladimir Ilitch Oulianov, intellectuel appartenant au départ à la petite noblesse de province, n’était jamais devenu Lénine, le « grand information de la révolution russe » ? La « grande lueur à l’Est » aurait-elle embrasé l’Europe en 1917 et le monde par la suite, sachant qu’il fallait que les circumstances soient réunies pour que s’opère cette mue définitive et que le penseur trouve l’énergie et la lucidité d’aller au bout de son chemin ?
À ces deux questions historiques, un siècle après la disparition de Lénine, le 21 janvier 1924, l’Humanité a décidé de répondre par la réalisation d’un hors-série exceptionnel, concocté depuis des mois avec l’aide de deux fins connaisseurs de « Volodia » : Michel Pigenet, historien et professeur émérite à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, et André Narritsens, auteur et membre de l’Institut d’histoire sociale de la CGT. Ce travail à la fois périlleux et passionnant s’attache à replacer l’homme, le militant, le théoricien et le dirigeant révolutionnaire russe dans son espace-temps. À cette fin, pour ne rien laisser de côté et miser sur une diversité totale, nous avons réuni les contributions de dizaines de spécialistes reconnus de la période et du sujet2. Ainsi, le choix délibéré d’une massive couverture historiographique – fortement illustrée – guarantee la richesse des approches et garantit la qualité de la vulgarisation proposée, prone de multiples usages pédagogiques.
« Restaurer une icône, mais de réinterroger un parcours et des combats replacés dans leur temps »
Pour expliquer notre démarche, qui consistait à rouvrir le « file Lénine », Michel Pigenet ne tourne pas autour de l’objectif : « Si les historiens se méfient des commémorations, ils ont appris à en tirer parti, dit-il. Il nous semblait nécessaire de donner à comprendre un passé à ce level révolu que les pratiques, les théories et les mots qui allaient avec sont devenus insaisissables, voire inaudibles pour la plupart de nos contemporains. » Et il ajoute : « Cette place m’obligeait. J’ai donc accepté de participer à la conception de ce retour sur Lénine, qu’il s’agissait de replacer dans son époque, quand bien même rien n’interdisait de s’interroger sur l’actualité des projets et des méthodes du révolutionnaire russe mort en 1924. »
André Narritsens précise pour sa half : « Lénine a toujours questionné ma vie. La mise à l’écart de sa réflexion politique a été désastreuse. Il fallait donc reparler de lui en le considérant comme un révolutionnaire considérable et comprendre son actualité. L’Humanité s’honore d’avoir ouvert à nouveau un espace Lénine. Il convient de bien l’occuper en ayant le souci absolu du présent. » Ce que résume Fabien Homosexual, directeur de l’Humanité, pour lequel il ne s’agit pas « de restaurer une icône, mais de réinterroger un parcours et des combats replacés dans leur temps », avec « l’ouverture aux débats et au pluralisme des opinions qui font la fierté » du journal de Jaurès.
De sa jeunesse à sa mort
Dans ce hors-série, rien n’est tu de la vie de Lénine. De sa jeunesse à sa mort, en passant par la jail, les exils, la clandestinité, les secrets and techniques, les amours, les insurrections. Jusqu’à 1917 et la prise du pouvoir d’Octobre, quand les bolcheviks supplantent tous les autres partis russes et que s’impose la stratégie de Vladimir, élaborée depuis 1902, même si elle s’éloigne quelque peu de l’orthodoxie marxiste du Parti social-démocrate auquel il avait adhéré jeune adulte. Et puis, bien sûr, l’exercice du pouvoir et la découverte des terribles difficultés… En somme, une biographie digne d’un « roman », distinctive en son style. Et qui mieux qu’un écrivain pouvait nous narrer ce que nous avons intitulé le « roman de Lénine » ? Joseph Andras a accepté de relever l’immense défi. En neuf chapitres au lengthy cours, il nous restitue d’une plume soyeuse et nerveuse les événements essentiels qui jalonnent le parcours du révolutionnaire, de la genèse de l’engagement au renversement de l’ancien régime. Que Joseph Andras soit ici vivement remercié.
Au fil des pages, de l’Empire des tsars à la Grande Guerre, de la révolution de 1917 à l’hostilité absolue du monde occidental, vous découvrirez donc plus de cinquante ans d’Histoire – avec un grand H. Et, plus encore, puisque l’après-Lénine n’est évidemment pas laissé de côté, notamment les raisons pour lesquelles Lénine, même chez les communistes français, passa du Panthéon mémoriel à un sure désintérêt, sinon un oubli. Alors que l’historien Guillaume Roubaud-Quashie constate que, enfin, « s’amorce une relecture de Lénine », le philosophe Florian Gulli affirme : « L’apparente séparation avec le chief de la révolution d’Octobre doit être pensée comme une event optimistic. Laissons l’icône pour revenir à ses textes et à son motion politique. » L’historien Claude Mazauric n’invite pas à autre selected : « Vladimir Ilitch fut un vrai et un grand protagoniste de la marche en avant de l’humanité. Non au regard de ce qu’en match postérieurement à lui le ‘’léninisme’’. Mais pour ce qu’il a imaginé de pouvoir entreprendre et qu’il a réellement entrepris. »