Les 53 signataires de la tribune intitulée « N’effacez pas Depardieu » avaient-ils mesuré les secousses que produirait leur soutien public au comédien mis en trigger pour plusieurs viols et agressions sexuelles ? Au malaise et la série de défections et de revirements auxquels on assiste depuis quelques jours, il faut bien croire que non.
Carole Bouquet, qui s’était illustrée en affirmant avec véhémence son soutien à son ex-compagnon, dénonçant sur le plateau de l’émission « Quotidien » un lynchage et une remise en trigger de la présomption d’innocence, a ainsi ouvert la marche, en publiant sur le réseau social Instagram un courtroom message, où elle évoque « son malaise », quelques jours après avoir apposé sa signature sur cette tribune publiée le 25 décembre dans Le Figaro.
L’auteur de la tribune, un comédien-chroniqueur à « Causeur »
À l’origine du malaise : l’auteur à l’initiative de ce texte, un comédien de 32 ans peu connu répondant au nom de Yannis Ezziadi, qui s’avère être également un chroniqueur régulier du mensuel d’extrême droite Causeur. Entre deux chroniques culturelles, il s’y improvise à l’event reporter, allant sur le terrain constater les effets supposés du fantasmé « grand remplacement », théorie chère à Eric Zemmour et à sa compagne Sarah Knafo, dont on apprend, par Le Monde et Mediapart, qu’elle est également une proche du comédien.
Autant d’éléments mis en évidence par plusieurs médias et sur les réseaux sociaux, qui ont conduit l’actrice à publier ce communiqué, le 29 décembre, où elle prend ses distances, sans pour autant remettre en trigger la substance du texte :
« J’ai signé une tribune pour Gérard une tribune pour Gérard Depardieu, cependant, je ne soutiens pas les idées et les valeurs associées au journaliste (sic) porteur de cette tribune. Lui donner de la visibilité par l’entremise de Gérard me met, comme vous pouvez l’imaginer, profondément mal à l’aise. »
Même remorse chez Nadine Trintignant qui, dans le sillage de Carole Bouquet, reconnaît une « grave erreur » et a annoncé retirer sa signature de cette tribune. La réalisatrice a également présenté ses excuses « aux personnes » qu’elle a « choquées » : « J’ignorais en signant cette tribune par qui elle était écrite », a-t-elle invoqué dans l’hebdomadaire Le Level.
Des excuses qui n’ont pas apaisé la colère des associations de lutte contre les violences faites aux femmes et des nombreuses voix qui ont exprimé, notamment sur le réseau social X, leur indignation face à une tribune invisibilisant totalement les victimes, au revenue d’un comédien présenté comme intouchable en raison de son statut de « monstre sacré ».
Floraison de contre-tribunes
Cette colère, par ailleurs attisée par les propos d’Emmanuel Macron sur le plateau de l’émission C à vous, qui avait dénoncé une « chasse à l’homme » à l’encontre de Depardieu, sans un mot pour ses victimes présumées, et avait été jusqu’à remettre en query la fiabilité du documentaire des équipes de Complément d’enquête, sur France 2, montrant le comédien tenir des propos obscènes à l’encontre notamment d’une fillette, a ainsi donné lieu à une floraison de contre-tribunes. L’une d’elles, lancée par le collectif Cerveaux non disponibles, a recueilli quelque 8 000 signatures d’artistes en 48 heures.
Cet émoi a-t-il joué un rôle dans la prise de conscience, tardive, de certains signataires ? C’est en tout cas ce qu’affirment Pierre Richard et Jacques Weber, deux grands noms du cinéma, dont la rétractation dépasse la easy remise en trigger de l’auteur de la tribune, pour reconnaître un aveuglement face à la teneur même du texte.
« Malheureusement, ce texte ne reflète pas le soutien que je porte à toutes les victimes d’agressions sexuelles. Il ne mesure ni l’intensité de leur douleur, ni le chemin de souffrance pour la faire reconnaître », a ainsi mis en avant Pierre Richard, sur son compte X. Le président fondateur de l’affiliation Les Papillons, Laurent Boyer, qui avait annoncé, au lendemain de la tribune, vouloir mettre fin aux missions d’ambassadeur du comédien de 89 ans au sein de son affiliation œuvrant pour la « lutte contre toutes les formes de maltraitances faites aux enfants », est, à la faveur de cette mise au level, revenu sur cette décision.
L’acteur Jacques Weber, le dernier en date à avoir pris la plume pour signifier son désaveu, est allé encore plus loin, en affirmant que sa « signature était un autre viol » pour les victimes.
« Je mesure chaque jour mon aveuglement. J’ai par réflexe d’amitié signé à la hâte, sans me renseigner. Oui, j’ai signé en oubliant les victimes et le kind des milliers de femmes qui souffrent d’un état de fait trop longtemps admis… », a-t-il affirmé sur un weblog de Mediapart.
Cette série de défections n’a pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux, où certains ont commencé à tirer quelques leçons de la débandade, comme cet enseignant, selon qui il convient de retenir de cet épisode, la leçon suivante : « Avant de signer une pétition : lisez-la : vérifiez la supply, vérifiez à qui elle est adressée. »