L’année 2024 sera-t-elle celle du rattrapage salarial ? Oui, à en croire le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. « C’est non seulement une prévision, mais un engagement : nous allons ramener l’inflation à 2 % d’ici à 2025 au plus tard », si bien qu’« à partir de maintenant, les prix vont augmenter moins vite que les salaires », a-t-il affirmé sur France Inter.
Après une baisse de 0,6 % en 2023 et de 1,9 % en 2022 du salaire mensuel de base réel (celui qui tient compte de l’inflation), l’Insee estime que celui-ci devrait croître de 0,6 % au deuxième trimestre 2024. Une prévision « hasardeuse », estime Sylvain Billot, de l’Institut la Boétie, puisqu’elle va dépendre des négociations dans les entreprises et des luttes sur les salaires. Dans de nombreuses entreprises, celles-ci sont d’ailleurs en cours.
Selon une enquête réalisée par le cupboard de conseil en ressources humaines LHH auprès d’une centaine d’entreprises, représentant près de 1 million de salariés, les prochaines revalorisations devraient avoisiner en moyenne les 3,5 %, alors que l’inflation devrait s’établir autour des 2,5 %. Soit moins que celles consenties en 2023 avec 4,75 %, essentiellement tirés par le versement de la prime de partage de la valeur, mais plus que les presque 3 % accordés en 2022 et 1,5 % en 2021. Mais ce regain de pouvoir d’achat des travailleurs ne devrait pas rattraper les pertes accumulées depuis deux ans.
« Un Smic augmenté de 12,4 %, alors que l’inflation a été de 12,5 % »
Seuls les salariés au Smic, automatiquement revalorisé, ont été préservés. Ce 1er janvier, le salaire minimal a été revalorisé de 1,13 %, portant le brut horaire à 11,65 euros, contre 11,52 euros actuellement. « Ainsi, depuis janvier 2021, il a augmenté de 12,4 %, alors que l’inflation a été de 12,5 %, soit un quasi-maintien de son pouvoir d’achat, alors que celui du salaire moyen a baissé de 2,5 % », a analysé la responsable confédérale de la CGT, Sandrine Mourey, dans l’Humanité.
Reste qu’avec un Smic web à 1 398,69 euros par mois (pour un temps plein), selon le calcul de la CFDT, le salaire minimal ne permet pas de vivre décemment. Selon une étude réalisée par l’économiste Pierre Concialdi, en prenant en compte l’inflation, une personne célibataire devrait bénéficier d’un revenu mensuel de 1 630 euros web, soit 195 euros de plus que ce qui était nécessaire en 2014. Un couple sans enfant devrait quant à lui gagner au moins 2 273 euros web.
Or, depuis 2017, l’économiste de l’Ires notice une baisse significative du pouvoir d’achat, que ce soit pour le salaire brut ou la rémunération totale du travail. « Entre 2017 et 2023, la baisse du pouvoir d’achat a été supérieure ou égale à 10 % pour la rémunération du travail (-1,6 % par an), et d’un peu plus de 7 % pour le salaire brut (-1,2 % par an) », écrit-il, même s’il est encore tôt pour affirmer si ce changement est structurel.
Les revenus du patrimoine ont progressé de 9 % l’an dernier
À l’inverse, les revenus du capital ont réalisé ces deux dernières années une ascension fulgurante. Dans un chapitre de sa notice de conjoncture publié en décembre, l’Insee affirme que les revenus du patrimoine ont progressé de 9 % l’an dernier après avoir déjà augmenté de 6,4 % en 2022. Près de la moitié de cette hausse serait due aux dividendes qui se « maintiendraient à des niveaux élevés », avec une development de 10 % en 2023. Sur un an, l’indice phare parisien a progressé de 13 %.
Selon les dernières estimations publiées par Janus Henderson, les dividendes mondiaux versés devraient progresser de 4,4 %. En France, entre avril et juin, les entreprises françaises ont versé près de 46 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit le price range de l’éducation nationale, un report.
À cela s’ajoute, les produits d’épargne, en particulier ceux de l’assurance-vie. « Dans un contexte de hausse des taux, où entre juillet 2022 et septembre 2023, la Banque centrale européenne a relevé ses taux de refinancement de 0 % à 4,5 %, les organismes financiers ont relevé sensiblement les taux servis », indique l’Insee.
Ainsi, la multiplication des discours optimistes sur l’inflation, alors que les fluctuations géopolitiques peuvent réviser les prévisions, vise surtout à « minimiser la perte de salaires réels », estime Sylvain Billot. L’objectif est avant tout « de ne pas donner satisfaction aux revendications salariales ou à un quelconque coup de pouce au Smic ». Lequel n’a pas eu lieu depuis 2012. D’autant qu’avec la baisse de la productivité du travail, les entreprises vont maintenir des prix élevés afin de garantir leurs marges. De ce fait, il semble difficile que l’inflation repasse sous la barre des 2 %.