Campagne législative 2022. Mathilde Hignet, élue députée d’Ille-et-Vilaine, est enceinte. Passé les élections de juin et la trêve estivale, l’insoumise envisage de s’arrêter pour les dernières semaines de sa grossesse et s’enquiert de ce qui est prévu lorsqu’elle devra s’absenter de l’Hémicycle. Shock : rien du tout. Pas de congé officiel, pas de remplacement. Son siège restera vacant, et son vote pourrait manquer à son groupe. Alors qu’elle s’apprête à vivre un second d’une très grande intensité, celui de donner la vie, elle réalise que ceux qui représentent la Nation et font la loi n’ont rien anticipé sur le sujet. Un angle mort béant.
Pas concernées par le Code du travail, automobile elles exercent un mandat et non un emploi, les députées ne jouissent d’aucun congé maternité et ne peuvent même pas être relayées par leurs suppléants pendant quelques mois. Mathilde Hignet ne veut pas en rester là. Elle alerte et lance plusieurs démarches. Entre-temps, son ventre s’arrondit, elle passe des échographies, apprend le sexe du bébé. Mais la state of affairs à l’Assemblée, elle, n’évolue pas. À la mi-septembre, elle dépose donc une proposition de loi pour inscrire le congé maternité comme motif éligible au remplacement. Pas une mince affaire : il faudrait pour cela non pas modifier le règlement de l’Assemblée nationale, mais carrément la Structure, et plus précisément son article 25, qui régit les motifs légitimes d’absence des députés.
« J’avais la sensation de laisser mes électeurs »
À l’automne 2022, elle accouche finalement de son bébé. Mais son texte législatif reste en gestation. Un sentiment de culpabilité l’envahit au second de quitter un temps l’Hémicycle. « J’avais la sensation de laisser mes électeurs », se souvient-elle. « Notre mandat est à la fois très necessary pour nous et pour les citoyens de la circonscription qui nous ont élus. Si je ne suis pas là, je ne peux pas les représenter », abonde Karine Lebon. L’élue GDR de La Réunion est tombée enceinte à son tour, quelques mois plus tard, et a fait le même constat. Avec d’autres élus de gauche, elle décide de reprendre la proposition de Mathilde Hignet, en mars 2023, et lui donne un second souffle en élargissant le motif d’absence et de remplacement au congé maladie.
Depuis, Karine Lebon est devenue mère. Mais le texte sur lequel elle a travaillé n’a pas encore été débattu dans l’Hémicycle. À défaut de modifier la Structure, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a finalement ouvert un groupe de travail pour faciliter le recours à la délégation de vote en cas d’heureux événement. Celle-ci est maintenant accessible, mais uniquement pour les scrutins publics, et reste unimaginable dans le cadre des commissions, qui sont pourtant au cœur du travail législatif. Contactée par « l’Humanité », la ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé, s’est dite favorable à renforcer les capacités de délégation de vote en fee, mais rien n’a encore bougé. Et la query du remplacement par le ou la suppléante toujours renvoyée aux calendes grecques…
Les femmes de plus en plus nombreuses dans l’Hémicycle
Une évolution lente, donc, pour une state of affairs totalement anachronique. Si les hommes faisaient autrefois seuls la loi, ce temps est révolu. Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans l’Hémicycle (37 % en 2023, contre 18 % il y a quinze ans), et surtout de plus en plus jeunes. Symbole du frein à l’égal accès à l’exercice du mandat de parlementaire, la maternité des députées, longtemps restée tabou, est devenue un sujet incontournable. De jeunes députées sont ainsi accablées par un système injuste et désuet les obligeant, si elles deviennent mères, à un cumul très difficile dans les premiers mois, d’autant que les délibérations dans l’Hémicycle durent parfois jusqu’au milieu de la nuit…
Renforcer le rôle du suppléant pour quelques mois, que l’on soit mère ou père, apparaît logique. « Il y a des mères célibataires à l’Assemblée. Au bout d’un an de mandat, j’observe que certaines revoient leur rythme afin de concilier au quotidien le rôle de mère et de députée. J’admire beaucoup leur pressure » , confie Marie-Charlotte Garin. La députée écologiste considère que des inégalités ancrées font « que nous, les femmes, devons parfois choisir entre une vie de famille et une vie politique. La state of affairs des députées qui accouchent en est un symbole hyperviolent ». En plus de constituer un non-sens démocratique : Lisa Belluco, autre députée écologiste, a raté les séances extraordinaires de juillet 2023 alors qu’elle était en fin de grossesse. Elle a pu faire beaucoup de choses à distance. « Mais sur un sure nombre de sujets, je n’ai pas pu voter », raconte l’élue de la Vienne.
Des femmes accusées de « déserter leur mandat »
Et cela dure depuis 1958. Au second de rédiger la Structure de la Ve République, seules 19 femmes (dont 15 communistes) siégeaient au Palais-Bourbon. Ce n’était pas un sujet pour ces messieurs, et sur ce level la loi fondamentale n’a pas bougé depuis. Il a fallu attendre 2013 pour que la députée EELV Eva Sas soit la première à « sortir du bois », comme elle dit, pour inviter à modifier la loi. « J’attendais mon troisième enfant, et je n’étais d’ailleurs pas la seule dans l’Hémicycle. Mais je me suis heurtée à une indifférence générale. J’étais peu soutenue, y compris par les femmes, qui voulaient exercer la fonction comme des hommes », témoigne-t-elle.
L’amendement qu’elle suggest alors est inconstitutionnel et le sujet aussitôt mis au placard. « Je pense qu’il y avait une half de pudeur. Moi-même, je n’aimais pas trop me mettre en scène et utiliser un événement privé pour poser un problème politique. On m’a même dit que je faisais de la com… Mais c’est justement cette pudeur qui réduit toujours les femmes au silence », se souvient l’élue. Beaucoup parlent d’une ambiance « boy’s membership » à l’Assemblée, qui pressurise et culpabilise les élues enceintes. Certaines se voient reprocher d’avoir « déserté leur mandat », y compris par des électeurs, comme ce fut le cas pour Seybah Dagoma, députée PS, en 2014. « C’était vécu comme une démission », poursuit Eva Sas.
Le retour de Rachida Dati
En 2009, Rachida Dati, alors ministre de la Justice, avait créé la shock en revenant au gouvernement seulement cinq jours après son accouchement. Plusieurs associations féministes l’avaient accusé de donner le « mauvais exemple », de faire comme si un accouchement et une maternité récente n’étaient pas un sujet. Pour Eva Sas, ce retour specific n’était pas étonnant à l’époque : « On gommait notre facet féminin pour pouvoir se fondre dans un modèle qui était uniquement masculin ». Les mentalités ont quelque peu évolué depuis. En 2023, l’égalité femmes-hommes est toujours supposée être « la grande trigger du quinquennat » d’Emmanuel Macron.
Pourtant, lors de son élection en juin 2022 à la tête du groupe Renaissance à l’Assemblée, Aurore Bergé, alors députée, a caché à ses collègues qu’elle était enceinte. Elle a accouché en octobre 2022. Si son siège de parlementaire est resté vacant pendant trois semaines, elle avait pu être remplacée par le député Sylvain Maillard à la tête de son groupe. Malgré cette expérience, celle qui est ensuite devenue ministre rejette l’idée d’un remplacement temporaire par un suppléant, qu’elle juge trop compliqué sur une « période courte », et incompatible avec l’agenda professionnel de certains suppléants. Ils sont pourtant au courant de leur engagement. « Peut-être faudrait-il adapter le droit pour que les employeurs soient obligés de libérer du temps, même pour des suppléances de courte durée ? », suggère Lisa Belluco.
Des tables à langer à l’Assemblée
En attendant une évolution législative, un partenariat avec les crèches proches du Palais Bourbon a été ouvert. Des lits y ont été réservés pour les bébés de députés, femmes comme hommes. Des chambres munies de tables à langer sont aussi mises à disposition dans l’immeuble Chaban-Delmas, la résidence de fonction des élus à Paris. Tous les députés avec un enfant de 0 à 3 ans perçoivent, en outre, une allocation mensuelle de 318,98 euros par enfant. Une évolution qui ne suffit pas à couvrir les frais de garde à temps plein, surtout pour les députées de province qui doivent financer deux modes de garde, un à Paris, un dans leur circonscription. « Avec le rajeunissement des parlementaires, la maternité arrive de plus en plus souvent. Il nous faudrait une crèche à l’Assemblée qui ait des horaires d’Assemblée. Je n’ai pas fait une séance du soir depuis que j’ai mon fils, et c’est un problème pour moi », souligne Lisa Belluco.
Interrogée sur le sujet par « Libération » l’année dernière, Yaël Braun-Pivet n’a pas retenu l’idée, arguant d’un nombre « trop faible de demandes ». Pourtant, sur la session parlementaire 2022-2023, elles sont au moins sept députées à être tombées enceintes, sans compter les hommes devenus pères, et l’ensemble des employés de l’Assemblée qui sont aussi tributaires du rythme des classes parlementaires. L’idée d’une crèche au Palais Bourbon n’est pas nouvelle. Ségolène Royal avait déploré son inexistence en 1991. Les députées PS Axelle Lemaire et Barbara Romagnan avaient écrit à Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale en 2012, pour en demander la création. En 2017, la France insoumise avait déposé un amendement pour inscrire « la mise en place d’une crèche pour accueillir les enfants des personnes travaillant à l’Assemblée » dans le règlement intérieur. Mais celui-ci a été rejeté. Le Sénat dispose pourtant d’une halte-garderie, et le Conseil de l’Europe d’une crèche.
Eva Sas appelle à ne pas considérer les grossesses des députées comme un épiphénomène : « C’est infiniment symbolique de ce que la République envoie comme message aux femmes députées. » « Il faut repenser les pratiques et la tradition de l’establishment », suggest Cyrielle Châtelain, présidente du groupe écologiste, en prenant exemple sur la Scandinavie. En Suède, les députés ont accès au congé familial (jusqu’à seize mois de congé et six mois au minimal, trois pour la mère, trois pour le père) et peuvent se faire remplacer. La answer doit aussi concerner les députés qui deviennent pères. L’insoumis et jeune papa Ugo Bernalicis word que l’absence de remplacement pour paternité « peut être un frein ou une discrimination entre parlementaires, plutôt au détriment des femmes, mais c’est un sujet world : le rythme de vie des parlementaires n’est pas adapté à des contraintes familiales ou de maladie. Il faudrait examiner moins de textes et se réunir moins souvent, sur des plages horaires plus raisonnables, ou se faire remplacer un temps ».
Lisa Belluco think about elle aussi des classes parlementaires plus denses et plus courtes. Pour l’immediate, l’Assemblée nationale ne semble pas prête à freiner sa boulimie parlementaire. Quitte à voir les députées siéger avec leur bébé en bandoulière ?