La tribune de trop est parue le 25 décembre dans le Figaro. Depuis l’émission Complément d’enquête, diffusée le 7 décembre sur France 2, les contre-offensives ne manquent pas pour venir à la rescousse de Gérard Depardieu. L’ère post-#MeToo n’est pas encore advenue, et le clan s’organise pour nier le comportement délétère de l’acteur. Pourtant, les faits sont là : une confession du comédien à une journaliste américaine sur des viols auxquels il aurait participé dans sa jeunesse, le témoignage d’une jeune actrice, Charlotte Arnould, dont le père était un ami de Gérard Depardieu, qui l’accuse de viol et a porté plainte, menant à la mise en examen de l’acteur.
Mais aussi d’autres jeunes femmes, « petites mains » si précieuses du cinéma qui corroborent une conduite agressive et blessante. Enfin, des pictures d’un reportage montrant Gérard Depardieu en voyage, multipliant les propos obscènes, violents, dégradants sur les femmes et même sur une enfant. Les naïfs auraient pu s’attendre à des excuses. C’est uncommon de la half des accusés, voire inexistant en matière de violences sexistes et sexuelles (VSS).
La grande trigger du quinquennat aux oubliettes ?
Trois jours après la diffusion de l’émission, la famille de l’acteur a pris sa défense dans une tribune publiée par le journal d’extrême droite le JDD, remettant en trigger le montage des pictures et du son, niant la véracité du propos. Un argument repris quelques jours plus tard par le président de la République dans l’émission C à vous, sur France 5, sans élément à décharge. Au level que les journalistes de l’émission Complément d’enquête ont été obligés de faire attester leurs rushes par un huissier pour contrer les accusations de manipulation des pictures.
En réalité, c’est bien la parole du président de la République que l’on a tenté de manipuler. Le Monde a révélé, dans son édition du 26 décembre, qu’avant son passage dans l’émission d’Élisabeth Lemoine, Gérard Depardieu et sa fille Julie ont téléphoné à Emmanuel Macron. Et que c’est bien le chef d’État qui a tenu à évoquer à l’antenne l’affaire Depardieu, « un acteur qui rend fière la France », victime selon lui d’une « chasse à l’homme ». Le président de la République avait déjà parlé « d’inquisition » en décembre 2021, lorsque son ministre Nicolas Hulot avait été mis en trigger dans plusieurs affaires de violences sexuelles.
« Emmanuel Macron a ainsi validé officiellement la tradition du viol »
Pour Emmanuelle Dancourt, la présidente de l’affiliation MeTooMedia, qui lutte contre les VSS dans le secteur et qui a porté plainte pour agression sexuelle contre Patrick Poivre d’Arvor, « Emmanuel Macron a ainsi validé officiellement la tradition du viol ». Les enquêtes du Monde, France Inter, Mediapart ont donné la parole à de nombreuses femmes accusant Gérard Depardieu de violences sexuelles, détaillant le comportement problématique de l’acteur sur les tournages. « Des comportements inadmissibles de la half de cet acteur (…) ce que le métier sait et savait et s’en amusait », dénonçait déjà en mai l’acteur Philippe Torreton, confirmant que, de la half de « Gérard », des comportements aussi inadmissibles que répréhensibles étaient tolérés.
C’est ce que confirme la publication le soir de Noël, sur le website du Figaro, d’un texte signé par cinquante « personnalités » du monde de la tradition s’offusquant au nom de l’Artwork, du « lynchage » fait à l’acteur. « Lorsqu’on s’en prend à Gérard Depardieu, c’est l’artwork que l’on attaque », peut-on y lire. Le Parisien a révélé, le 27 décembre, que l’auteur de la tribune n’est autre que Yannis Ezziadi, éditorialiste au journal d’extrême droite Causeur, qui a usé de son carnet d’adresses pour chercher des signatures. Il a par ailleurs tenté de « contacter une dizaine de jeunes acteurs », reconnaît-il dans ce journal, mais « tous ont dit non », parce qu’ils seraient « très pro-MeToo ». C’est Anne Hommel, surnommée « la communicante des parias » ou « la femme qui sauve les hommes », connue pour avoir été engagée par Dominique Strauss-Kahn et Jérôme Cahuzac, qui aurait mis en relation Yannis Ezziadi et le Figaro.
Mais la prise de parole de cette cinquantaine de personnes, d’une moyenne d’âge de 70 ans, pour soutenir « le dernier monstre sacré du cinéma », n’a pas eu cette fois l’effet bâillon escompté. Après Sophie Marceau, Anouk Grinberg dénonçant un système qui a permis que le monstre sacré soit « autorisé à devenir monstre tout courtroom », associations féministes et personnalités réagissent et ne laissent plus passer ces soutiens prêts à tout autoriser, prétendument au nom de l’artwork. « En France, le expertise artistique donne un pouvoir qui n’existe pas ailleurs », remarque l’historienne spécialiste du style au cinéma Geneviève Sellier dans le Huffington Submit.
« Celles qui sont agressées sont les petites mains… celles qui n’ont pas de pouvoir social »
« Ce qui m’a frappée dans les réactions des femmes autour de Depardieu, c’est qu’il s’est bien gardé de harceler ou d’agresser toutes celles qu’il a rencontrées une fois qu’elles étaient déjà connues. Celles qui affirment être agressées sont les petites mains, les techniciennes, les maquilleuses, les costumières, les jeunes actrices… Celles qui n’ont pas de pouvoir social », souligne celle qui est aussi directrice de publication du website le Style et l’écran. Interrogée par France Data, la féministe Raphaëlle Rémy-Leleu décrit un « déni de réalité » de la half des signataires de la dernière tribune qui « refusent de voir ce qu’a fait l’homme (…) parce qu’il est artiste ».
Contre ce fight « d’arrière-garde », comme le qualifie Geneviève Sellier, contre ceux « qui jettent leurs dernières munitions » antiféministes, des voix solidaires, comme l’actrice Isabelle Carré, s’élèvent et témoignent en chœur contre la domination d’auteurs de VSS. Depuis l’élan #MeToo, des livres ont été signés Vanessa Springora, Camille Kouchner, Lola Lafon, Chloé Delaume, Neige Sinno… Aujourd’hui, d’autres voix sont prêtes à prendre le relais. Si Gérard Depardieu n’a pas été jugé et reste présumé harmless devant la justice, le Québec n’a pas hésité à retirer sa décoration d’Ordre nationwide, la commune d’Estampuis en Belgique lui a ôté son titre de citoyen d’honneur qu’il détenait depuis dix ans, le musée Grévin a fait disparaître sa statue de cire. Emmanuel Macron, si immediate à vouloir retirer la Légion d’honneur à Harvey Weinstein avant son jugement, a dénié ce droit à sa ministre de la Tradition automotive ce « n’est pas un ordre qui fait la morale ». Un président au-dessus des partis ne devrait pas prendre le parti des agresseurs.