Six heures du matin, je marche dans le couloir souterrain qui conduit du parking à la gare. Je suis en avance, comme souvent. Devant moi, un homme cherche visiblement son chemin. La trentaine, africain, ou du moins je l’think about, pas de bagage, un sac à dos léger : sans-papiers ? Il se tourne vers moi et me demande plus par gestes qu’en paroles remark rejoindre la gare. Je lui réponds par signes, puis je suggest de l’y accompagner puisque j’y vais.
Nous voici devant les écrans. Visiblement, il ne parvient pas à les lire. Difficulté avec le Français ? Ou avec l’écrit en général ? Je lui explique : l’écran vert indique les arrivées, le bleu les départs. Il se concentre sur l’écran bleu mais ne trouve pas son prepare. Où va-t-il ? À Agen, me répond-il. Je lui montre alors le prepare de Marseille, qui y conduit. La voie n’est pas encore affichée, le prepare est annoncé avec vingt minutes de retard. Je m’apprête à partir, mais il n’a pas son billet et ne sait remark faire. Les bornes sont à côté de nous, mais c’est trop compliqué pour lui. Je décide de l’aider.
Et nous voici tous les deux à essayer de faire parler l’écran puis de répondre à ses questions : vacation spot, horaire, bien sûr, mais aussi numéro de téléphone. Aïe, je suis persuadée qu’il n’en a pas ou ne voudra pas le donner, pour se protéger. De fait, il me donne trois numéros successifs refusés par la borne. Je start à réfléchir à un plan B quand il me dit qu’il est domicilié en Espagne. Il suffit donc de mettre le bon préfixe. Ça marche ! Maintenant, il faut donner une adresse mail. Il en a une ! Ouf ! Mais pourquoi autant de renseignements sont-ils demandés pour un easy achat de billet de prepare ?
Nous arrivons au second de payer : 11,40 euros. Il a la monnaie, mais la borne n’accepte que les cartes. Il n’en a pas. Je sors la mienne et paye à sa place, il me donne l’argent liquide et maintenant c’est moi qui n’ai pas la monnaie à lui rendre. De toute façon il n’en veut pas. Enfin, le billet type de la machine. Il recueille le sésame, précieusement. C’en est peut-être un, en effet. Il me remercie comme si je venais de lui sauver la vie et moi je me sens pleinement heureuse d’avoir pu lui rendre service. Un dernier coup d’œil à l’écran, son prepare n’est toujours pas annoncé mais le mien oui. Nous nous séparons, contents de ce easy second de solidarité humaine, qui contraste tellement avec les déferlements de haine raciste des nazillons en parade à l’autre bout de la France.
Ce second, somme toute banal, me fait beaucoup réfléchir. D’abord sur la facilité avec laquelle on peut se comprendre et s’entraider par-delà les différences de tradition et de langues. Sur les stéréotypes, aussi, dont je me découvre porteuse alors que je suis foncièrement antiraciste. Il y a aussi la dégradation du service public. Nous n’avons croisé aucun agent de la SNCF, suppressions d’emplois obligent. Or, la seule machine ne suffit pas à remplacer les emplois supprimés. Il y faut aussi notre travail gratuit pour effectuer des tâches autrefois dévolues à des salariés. La pratique est devenue tellement courante, on n’y pense même plus. Elle participe pourtant à la déshumanisation de la société, et à la mise à l’écart de toute une partie de la inhabitants, en difficulté avec le langage numérique. Sans compter la surveillance permanente et insidieuse de nos faits et gestes, par les mêmes applied sciences. Mon prepare arrive. Une nouvelle journée start, sur de bons rails.