Faut-il penser comme Bourdieu que « le fait divers fait diversion », par essence ? La query taraude jusqu’aux rédactions comme la nôtre, entre volonté d’éviter les pièges et les diversions, précisément, et celle de ne pas se couper des préoccupations populaires. La mort d’un jeune homme de 16 ans, le 19 novembre, à Crépol (Drôme), est un cas d’école, tant son instrumentalisation par l’extrême droite, avant même de connaître l’exactitude des faits, lui a donné une dimension politique dans les heures qui ont suivi.
Le fait divers, quand il fait écho à un fait social, peut contribuer au portrait d’une époque, à en soulever les tabous ou en révéler les failles. Mais, dans le cas présent, comme beaucoup trop souvent, les rapaces n’hésitent plus à se jeter sur n’importe quel drame, du second que l’un des protagonistes porte un prénom suspecté d’être « étranger », pour en faire un matériau de leur « guerre des civilisations ».
Alors même que le parquet appelait à la plus grande prudence, Marine Le Pen n’a pas hésité à y voir « une attaque organisée émanant d’un sure nombre de banlieues criminogènes dans lesquelles se trouvent des milices armées qui opèrent des razzias ». Certes, l’extrême droite s’est toujours repue de drames de cette nature.
La nouveauté est qu’elle n’attend même plus les faits et qu’elle est désormais épaulée par de grands médias qui en font leurs choux gras, sommant les responsables politiques de se positionner pour leur fournir commentaires hâtifs et autres interprétations douteuses. Pendant que ces médias brassent « du vide ou du presque rien », pour reprendre Bourdieu, la justice tente de faire son travail, et la vérité de se frayer un chemin.
Les révélations du Parisien-Aujourd’hui en France, qui a eu accès aux premiers éléments de l’enquête, relatent une tout autre histoire que celle, fantasmée, de l’extrême droite. Mais qu’importe la réalité pour ces irresponsables, qui vont jusqu’à voir dans ces informations un grand complot du « système », selon les termes de Pascal Praud, dont l’éditorial affligeant de mardi est un sommet du style. Un symbole terrifiant de l’ère de « post-vérité » dans laquelle une partie du pays a basculé, carburant puissant d’une extrême droite qui passe des mots aux actes.