Suède, correspondance particulière.
La Suède est-elle en practice de renouer avec son histoire sociale ? « Peu de gens s’en souviennent, mais c’est l’un des pays qui faisait le plus grève en Europe au début du XXe siècle », rappelle Anders Kjellberg, professeur émérite de sociologie de l’université de Lund (Suède). Depuis, avec le modèle social réputé distinctive du pays, le nombre de conflits sociaux a chuté. Le 27 octobre, la grève des salariés des dix centres de réparation de voitures Tesla à l’appel du syndicat IF Metall, a donc surpris le monde entier. Dans les semaines suivantes, le mouvement est devenu encore plus retentissant, avec pas moins de neuf syndicats qui l’ont soutenue par des actions de solidarité : ceux des transports, des électriciens ou encore celui du BTP.
À l’origine de ce conflit, la firme car Tesla refuse de signer les accords collectifs de branche avec le syndicat IF Metall, deuxième en nombre de membres. Après cinq années passées à faire miroiter une hypothétique signature, Tesla a claqué la porte des négociations, fin octobre. Le conflit s’articule notamment autour des salaires, des assurances et des pensions de retraite. Autant d’éléments inscrits dans les conventions collectives qui couvrent 90 % des salariés suédois.
« Tesla risque d’ouvrir une brèche »
Pour Marie Nilsson, présidente d’IF Metall, l’organisation doit défendre bec et ongles cette spécificité. « C’est la manière dont le système de safety des salariés s’applique en Suède. Les droits des travailleurs – à la différence d’autres pays européens – sont principalement garantis par ces accords collectifs », précise-t-elle. Si la mobilisation ne concerne peut-être que 130 mécaniciens, la représentante y voit une offensive plus globale contre le système des accords collectifs.
Une imaginative and prescient partagée par Britta Lejon, présidente du syndicat suédois des fonctionnaires Statstjänstemannaförbundet, « Tesla risque d’ouvrir une brèche et inciter d’autres entreprises à reconsidérer l’utilité des négociations », s’inquiète la chef de file de l’organisation. Ses membres, qui comprennent notamment des postiers, mènent depuis le mardi 21 novembre une grève de solidarité et bloquent tous les courriers à vacation spot des ateliers Tesla. La multinationale se retrouve donc dans l’impossibilité de mettre ses nouveaux véhicules en circulation, les plaques d’immatriculation étant d’habitude livrées par la poste. « La livraison des pièces nécessaires à la réparation mais aussi celle des plaques d’immatriculation sont interrompues », confirme Britta Lejon.
Tesla n’a pas tardé à réagir, Elon Musk, patron de l’entreprise, lâchant sur son réseau social X un « C’est de la folie ! » en réponse à cette solidarité. Ce lundi 27 novembre, Tesla a déposé plainte contre l’État afin de récupérer les plaques d’immatriculation auprès de l’agence publique qui les met à disposition. Une autre motion en justice contre PostNord – entreprise des postes détenus par les États suédois et danois – a été lancée pour demander la reprise des livraisons.
« Nous savons que la grève sera longue »
« Jour après jour, on reçoit de plus en plus de soutien », se réjouit David (1), en grève depuis un mois dans une ville de l’ouest de la Suède. Pour le jeune « senior technician » de 25 ans, l’offensive de Tesla est un signe encourageant : « C’est que les effets des actions solidaires portent leurs fruits. » Avec une compensation à 130 % de son salaire par le syndicat IF Metall, il se fait le porte-parole de ses collègues avec lesquels il se réunit régulièrement « Nous savons que la grève sera longue, mais nous attendrons le temps nécessaire pour faire revenir Tesla à la desk de négociations. »
La décision temporaire de tribunal du Norrköping saisi sur la plainte contre l’agence des transports a d’ailleurs surpris Anders Kjellberg. « En ordonnant à l’administration publique de mettre à disposition les plaques d’immatriculation directement à Tesla, le tribunal remet d’une certaine manière en trigger les mesures de solidarité », avertit le sociologue. D’autre half, le droit de grève inscrit dans la Structure exige une neutralité de l’État lors des conflits sociaux, or, « par cette décision, la cour ordonne à l’État de renoncer à sa neutralité ».
En parallèle, « les organisations patronales observent attentivement l’évolution de la scenario. Ils considèrent ce conflit comme une opportunité stratégique pour remettre en query le droit aux actions solidaires, longtemps supply de puissance pour les syndicats », conclut Anders Kjellberg.
(1) Le prénom a été modifié.