Six ans après #MeToo, les évolutions dans le journalisme sont… lentes. Certaines affaires concernant des médias nationaux ont permis de montrer que le secteur était lui aussi touché par ce fléau, de la Ligue du LOL aux procédures contre PPDA ou, ces derniers jours, la plainte pour viol déposée à l’encontre de l’animateur radio Sébastien Cauet. Des statistiques ont même été établies. Dès 2019, l’enquête participative #EntenduAlaRédac des collectifs Prenons la Une, Paye ton journal et #NousToutes dénombrait 208 rédactions concernées par des signalements relatifs à des propos à connotation sexuelle ou, même, des agressions sexuelles. Les nouveaux témoignages de journalistes travaillant dans la presse locale ou régionale que l’Humanité a recueillis et la tribune d’anciennes étudiantes en journalisme (ci-contre) démontrent que les violences sexistes et sexuelles persistent dans la occupation.
Témoigner n’est pourtant pas selected aisée pour ces professionnelles. Couvrir l’actualité locale implique souvent de travailler en petite équipe, parfois isolée dans des agences, loin des sièges sociaux et de leurs référents harcèlement sexuel – quand ils existent –, l’obligation, légale depuis le 1er janvier 2019, ne concernant que les sociétés de plus de 250 salariés. Pour Marine Forestier, de Prenons la Une, la presse de proximité est face à des enjeux spécifiques, du fait des « locales » isolées mais aussi d’une prise de conscience et d’un « changement de tradition qui n’a pas été fait ».
C’est ce que racontent Marie, Clara ou Sarah (1). En stage ou en poste, ces jeunes femmes ont toutes été victimes, ces derniers mois, de violences sexistes et sexuelles. Dès sa recherche de poste en alternance, Marie a été confrontée à ce qui constitue, depuis le 31 mars, un harcèlement sexuel d’ambiance (ou environnemental). « Durant un entretien, le responsable d’un journal en Bourgogne m’a dit qu’il n’avait que des hommes dans l’équipe et qu’il voulait une femme pour s’occuper des sujets éducation et enfance. Une responsable d’une autre publication dans l’Orne m’a dit que si j’étais féministe, ça n’allait pas le faire. » À la fin de son alternance dans une autre entreprise de presse, elle décroche un poste dans une rédaction de l’est de la France. « On m’a tout de suite prévenue qu’on ne me donnerait pas le numéro d’un correspondant et que je ne devais pas m’approcher trop d’un autre collègue. Ça se sait. Cet homme m’a proposé un jour, alors qu’on était seuls à la rédaction, de » manger en tête à tête «. Et son regard… » Marie n’est pas la seule à avoir été mise en garde contre un collègue.
Dans les Hauts-de-France, Clara, la petite vingtaine, « très sociable », l’a été aussi à son début de CDD dans une petite locale. Généralement seule le dimanche, elle est parfois en contact avec un photographe qui a « sa réputation ». « Il m’appelle après un reportage pour me dire à quel level il a apprécié de travailler avec moi. Puis la dialog dérive un peu, il begin à me parler de sa vie mais je ne me méfie pas trop… » raconte-t-elle. Au fil des dimanches, l’homme à la cinquantaine bien tassée begin à lui proposer d’aller boire un verre, demande à dormir chez elle, lui reproche d’être proche d’un autre collègue du même âge que lui. Clara begin à venir au travail la boule au ventre. Un week-end, alors qu’ils couvrent un pageant, il lui suggest à nouveau de boire un verre : « Je lui ai dit que j’étais trop fatiguée et que je serais saoule très rapidement. Il a commencé à parler de mon corps, il m’a dit : » T’es pas un petit ache, avec les formes que tu as. Tu ne seras pas bourrée. « Ça m’a dégoûtée. Je n’avais plus de batterie, je suis partie en courant à travers champs, sans lumière. » Après avoir quitté l’entreprise, la journaliste n’a pas fait remonter les faits à sa hiérarchie, par peur de ne pas être crue. « Il est en poste depuis des années. Un photographe avec son expérience, ça ne se trouve pas à tous les cash de rue. Des jeunes en CDD, si. »
Si les victimes sont nombreuses à ne pas oser dénoncer les faits auprès des syndicats ou de leur route, c’est parce qu’elles « ne savent peut-être pas que l’on peut les accompagner et les soutenir moralement, juridiquement, les écouter », avance Agnès Briançon, du bureau nationwide du SNJ. Voilà pourquoi le Syndicat nationwide des journalistes documente l’ampleur du problème avec Technologia, un cupboard d’consultants. Selon son baromètre 2022 sur l’état du journalisme en France, 19 % des professionnels annoncent avoir subi des propos écrits ou oraux sexistes ou sexuels, dont 92 % de femmes, dans tous les sorts de journalisme.
Harcèlement ethical et sexuel se conjuguent parfois. Sarah, étudiante en école de journalisme, a été témoin de propos misogynes et racistes au sein d’une rédaction où elle effectuait un stage. L’un des rédacteurs en chef adjoints l’a prise en grippe. « Régulièrement il nous demandait des idées d’articles pour nous dire ensuite que c’était de la merde. Ce qui ne l’empêchait pas de les publier en une. » Lors d’un reportage en bateau avec une collègue, il leur a proposé de se prendre en picture en maillots de bain.
Lorsqu’il la jugeait lente, ce responsable lui hurlait dessus. Le jour où Sarah lui suggest un article sur un movie tourné par un collectif féministe, il explose : « De toute façon, on peut plus rien dire, tu leur touches l’épaule, elles s’offusquent, ces bandes de Femen, alors que tu verrais remark elles s’habillent… Elles font que montrer leurs seins, on dirait qu’elles le demandent, qu’on les touche ! » Choquée, Sarah a achevé son stage en télétravail. Son école la soutient, un membre de la route du média également. Mais son harceleur n’obtient qu’un blâme.
Vice-président de l’Alliance de la presse d’info générale, Vincent David n’a pas eu de remontées de semblables cas de violences au sein des journaux membres de l’organisme. Mais il se montre intraitable : « Je le dis aux journaux : changez vos comportements. Nous devons tous travailler sur le sujet. Le monde a changé, c’est très bien. Il faut en prendre acte et changer collectivement. Prenez le problème à bras-le-corps. » Ne rien laisser passer, c’est aussi le mot d’ordre d’Agnès Briançon, au SNJ : « Il est du rôle des journalistes de rappeler que la loi condamne ces violences sexistes et sexuelles. Il n’est donc pas acceptable que, dans nos équipes, des gens fautent. »
(1) Tous les prénoms ont été modifiés.