Fret SNCF pris dans une tourmente fatidique ? À la suite de l’ouverture d’une enquête de la Fee européenne le 18 janvier, Bruxelles veut savoir si les aides publiques perçues par Fret SNCF entre 2007 et 2019, d’un montant de 5,3 milliards d’euros, constituent une entrave au droit à la concurrence. Mais plutôt que de défendre l’opérateur public, Clément Beaune a choisi la liquidation. Le ministre délégué chargé des transports a présenté, le 23 mai, un plan de « discontinuité ».
Dans un marché ouvert libéralisé dès 2005, l’entreprise publique devra céder à ses concurrents 23 flux de « trains dédiés », affrétés par des shoppers uniques. L’équivalent de 20 % de son chiffre d’affaires. Fret SNCF sera scindée en deux entités, une pour le transport de trains mutualisés (SNCF New-EF) et une autre pour la upkeep du matériel roulant (SNCF New-M). À cela s’ajoute, selon le doc transmis au comité social et économique (CSE) de Fret SNCF, le délestage de 40 % de ses actifs immobiliers et la suppression de près de 10 % de ses effectifs.
Ce plan serait passé comme une lettre à la poste. C’était sans compter sur les députés communistes qui ont obtenu une fee d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire. En attendant ses conclusions à la mi-décembre, ses auditions, désormais achevées, font état de changements de stratégie et d’une opacité de l’exécutif dans ce file.
Fret SNCF condamné dès sa bascule en société anonyme en 2019 ?
Réforme phare pour le rail sous la présidence d’Emmanuel Macron, la loi pour un « nouveau pacte ferroviaire », actait dès 2018 le désossage de la SNCF. Jusque-là intégrée au sein de l’établissement public à caractère industriel et business en France (Epic) SNCF Mobilités, Fret SNCF est devenue une société d’actions simplifiée (SAS), avec un transfert de la dette.
Mais, contrairement à un Epic, une SAS est soumise aux procédures d’insolvabilité et de faillite de droit commun. Une réforme validée par l’Union européenne, dont le dispositif pour Fret SNCF n’aurait pas suscité d’statement de la Fee, selon la CFDT, lors de l’audition des syndicats représentatifs.
Or, dès 2016, Fret SNCF a fait l’objet de plaintes de ses concurrents européens – depuis retirées – amenant tout de même l’ouverture d’une enquête le 18 janvier dernier. « Ces aides sont les conséquences de la restructuration du fret. Avant 2003, le transport de marchandises ferroviaires est totalement intégré dans la manufacturing de la SNCF. Cette dernière était centralisée, planifiée, sans avoir de bilan financier propre », précise Laurent Brun.
L’ex-secrétaire général de la CGT cheminots poursuit : « Considérer que passer d’une scenario monopolistique à une entité autonome et concurrentielle en quatre ans, avec 1,5 milliard de recapitalisation, est un problème, c’est une vaste plaisanterie. » Pour le rapporteur de la fee d’enquête, Hubert Wulfranc (PCF), « en préparant la loi de 2018, le gouvernement savait que Fret SNCF était une société mort-née ».
D’ailleurs, lors de son audition, Sylvie Charles révélait qu’un plan de discontinuité de Fret SNCF avait été commandé au cupboard McKinsey, dès 2019, lors de la filialisation, par les companies du ministère des Transports. « L’étude de McKinsey ne garantissait ni la viabilité ni le report modal », mesure l’ex-directrice générale des activités ferroviaires et multimodales de marchandises de SNCF Logistics, entre 2010 et 2020.