Ils sont tombés de leur chaise. C’était le week-end, un coup d’œil à la veille juridique, comme par réflexe, même pas une formalité, puis tout à coup, la stupeur. Il y a quelques jours, plusieurs inspecteurs du travail ont, presque par inadvertance et sans en avoir été informés par leur hiérarchie, découvert dans un touffu décret en date du 31 octobre 2023, passé sous les radars – jusque-là – et portant sur les règles de droit applicables dans l’aviation civile, que leurs missions, leurs prérogatives et surtout leur indépendance n’étaient plus garanties face aux puissantes compagnies aériennes.
« Ce décret, c’est une bombe ! C’est comme si, pour aller dans une usine, on me demandait d’abord de demander la permission au ministère de l’Industrie », témoigne, souffle toujours coupé, un agent chargé des contrôles sur une plateforme aéroportuaire, contacté par l’Humanité. « Scandaleux et inouï ! » ajoute en écho un collègue, sous couvert d’anonymat également.
« Dans le secteur aérien, la collusion est énorme »
Signé par la première ministre Élisabeth Borne, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, le ministre délégué aux Transports Clément Beaune, le ministre du Travail Olivier Dussopt et une bonne partie du gouvernement, le texte parachève l’abrogation du Code de l’aviation civile et son intégration dans le Code des transports.
Mais, sur ces dizaines et dizaines de pages de recodification, censée être « à droit fixed » (lire notre encadré), une poignée d’articles ciblent directement les interventions de l’inspection du travail dans le secteur aérien. Et pas qu’un peu.
Dans les faits, le gouvernement instaure un régime d’habilitation spécifique pour les brokers de l’État dans le secteur aérien : ainsi, les inspecteurs du travail chargés de contrôler le respect par les compagnies aériennes des inclinations sociales inscrites dans le Code des transports devront être, au préalable, commissionnés non pas par leur propre administration, mais par le ministère des Transports.
Ils devront aussi faire une nouvelle prestation de serment, en plus de celle qu’ils ont faite à leur entrée dans la fonction publique. Enfin, les copies de procès-verbaux constatant les infractions devront être adressées à un service rattaché la Route générale de l’aviation civile (DGAC), l’establishment que les syndicats du secteur aérien dépeignent régulièrement comme un guichet délivrant à jets continus des dérogations aux compagnies aériennes à bas coût.