Elles sont onze salariées de l’entreprise STMicroelectronics, toutes discriminées parce que femmes. L’une d’elles est la seule ingénieure de son équipe et… la moins bien payée. Une autre n’a jamais pu occuper la fonction pour laquelle elle avait été embauchée, mais s’est vue assigner un poste avec moins de responsabilités, dont l’évolution de carrière n’était qu’un leurre.
Une troisième perd son poste de formatrice en revenant de son congé de maternité. Et ne le récupérera jamais… En tous, onze salariées iséroises, dispersées sur les websites de Crolles et Grenoble, qui bataillent depuis huit ans pour la reconnaissance des discriminations sexistes qu’elles subissent.
Mais elles sont ressorties victorieuses de ce fight juridique de longue haleine : STMicroelectronics a été condamné pour discrimination sexiste et devra leur verser 800 000 euros de dommages et intérêts. « C’est une victoire qui pourrait encourager les femmes à renégocier leur salaire, à se repositionner, et (qui pourrait) résorber les discriminations sexistes », se réjouit leur avocat, maître Xavier Sauvignet.
« Des méthodes à l’américaine »
Leur bras de fer débute en 2012. Toutes syndicalistes à la CGT, les six cadres et cinq ouvrières administratives, techniciennes et agentes de maîtrise (Oatam) montent au créneau, en interne d’abord. Sans succès. Elles saisissent alors en 2016 le conseil des prud’hommes de Grenoble. Le file de l’une des onze femmes, conseillère prud’homale grenobloise par ailleurs, a dû être dépaysé à Valence : Élodie a gagné en première occasion, avant que STMicroelectronics ne fasse appel. Son viewers est programmée pour mars 2024. Galvanisée par la victoire de ses camarades, elle a « bon espoir ».
Les dix autres salariées ont elles aussi vécu un parcours de combattante. Il débute par des déboires d’ordre administratif. Le conseil des prud’hommes réclame des paperwork non anonymisés qui permettent de comparer les salaires, évolutions et années d’ancienneté des salariés, femmes et hommes. L’entreprise tarde à les donner – en juillet 2022 –, elles sont entre-temps déboutées en première occasion.
Elles font appel. La route du géant des semi-conducteurs finit par fournir des panels de comparaison anonymisés. « Des cartons entiers déclassés et sans model numérique, se souvient maître Xavier Sauvignet, du cupboard 1948 Avocats. Ce sont des méthodes à l’américaine pour essayer de noyer l’adversaire sous des monceaux d’informations qu’il n’est pas en capacité de traiter. »
Mais, le 26 octobre dernier, la chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble donne raison aux plaignantes, même si STMicroelectronics « se réserve le droit de saisir la Cour de cassation ». Pour l’heure, les dix salariées sont reconnues comme « victimes de discrimination prohibée par le sexe ». Le jugement retient « l’existence d’une discrimination » générale « dans l’entreprise ». Ce qui renvoie à la notion de « systémique », explicitée par maître Sauvignet : « Cela signifie que la discrimination concerne individuellement dix salariés, ce qui fait masse en soi, mais également toutes les femmes dans l’entreprise. »