Dans le port de commerce de Lampedusa, une petite foule de personnes se rassemble sur le quai d’où vient de partir le ferry reliant l’île au continent. Certaines portent l’uniforme vermeil de la Croix-Rouge, d’autres des chasubles bleues estampillées du brand de Frontex, l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes. Quelques policiers arborent leur plaque étoilée, lançant des regards en coin à la dizaine de militants des ONG Mediterranean Hope (MH) et Pilotes volontaires.
Derrière eux, deux énormes poids lourds, à l’arrêt, sont chargés de plusieurs dizaines de barques en bois et en métal récupérées au massive. Il est 11 h 30 lorsque, ce dimanche 1er octobre, le « Nadir », un ketch de 18 mètres environ, fait son entrée dans le port. À son bord, l’équipage allemand de l’ONG Resqship ramène en lieu sûr une vingtaine d’exilés secourus en mer, deux jours plus tôt, sur une embarcation à la dérive. Tout le monde est sain et sauf.
« Des gens meurent tous les jours en Méditerranée »
Le voilier vient à peine de s’amarrer au quai qu’un médecin de la Croix-Rouge s’approche pour faire un level sur la scenario sanitaire à bord. Une passerelle est installée. Une jeune femme coiffée d’un foulard noir, visiblement épuisée, débarque la première. Elle titube au bras du jeune homme qui l’accompagne jusqu’à l’ambulance. Route l’hôpital de Lampedusa.
Les autres rejoignent, tour à tour, un bus de la Croix-Rouge après avoir subi un rapide interrogatoire des hommes en bleu et reçu une maigre collation de la half des solidaires venus les accueillir. « Nous sommes partis il y a trois jours de Libye, lâche Daniel, dans un massive sourire, avant de monter dans le véhicule humanitaire. Je viens d’Érythrée », tient-il à préciser.
Quelques heures plus tard, sur le pont du voilier, Pietro Desideri, le seul Italien de l’équipage de sauveteurs, souffle après cinq jours passés en mer. « J’ai quitté l’ONG Save the Youngsters, il y a deux ans, raconte-t-il. Je voulais passer à l’motion, alors que des gens meurent tous les jours en Méditerranée centrale. » Le sauvetage qu’ils viennent d’effectuer le conforte dans son choix. Tout a commencé après le « Mayday-Relay » lancé par l’avion de Frontex, raconte Pietro.
« Ça nous a étonnés. La nuit, normalement, les avions ne voient pas ce qu’il se passe sur l’eau. Mais, ce soir-là, c’était la pleine lune. Nous avons eu peur que les garde-côtes libyens arrivent sur zone avant nous. Certains des rescapés nous ont dit qu’ils avaient déjà été récupérés par ces miliciens, précise-t-il. Ils les ramènent en Libye où ils sont torturés et servent d’otages afin que leur famille paie une rançon. Certains en gardent des marques sur le corps… »
Un petit bateau pour sécuriser les embarcations en détresse
Cette nuit-là, le « Nadir », à une vitesse de sept nœuds, est parvenu sur zone au bon second. Rapidement, les bénévoles de l’ONG Pilotes volontaires sont venus leur prêter main-forte, depuis les airs, à bord de leur avion, le « Colibri 2 ». Ils ont rapidement repéré le navire en détresse et ont pu indiquer sa place exacte à l’équipage du voilier. « Arrivés sur place, vers 2 heures du matin, nous avons d’abord sécurisé tout le monde à bord de l’embarcation en les équipant de gilets de sauvetage, poursuit le jeune sauveteur. Nous sommes un petit bateau qui n’a pas vocation à embarquer les rescapés. Nous avons normalement une easy mission de monitoring. »
L’équipage décide de tracter les rescapés à bord de leur esquif de fortune. Ils voguent à moins de quatre nœuds et sont encore à plusieurs dizaines de milles nautiques de Lampedusa. Mais, vers 5 heures, la mer start à se former. L’ONG décide de changer de stratégie en faisant monter tout le monde à bord. Les autorités italiennes – le MRCC (Centre de secours et de recherche en mer) à Rome – prennent notice de leur décision mais, une fois le « Nadir » entré dans les eaux territoriales, elles leur assignent comme port de débarquement celui de Porto Empedocle, en Sicile.
« C’était à plus de 160 milles de notre place, dénonce Pietro. Il aurait fallu naviguer encore plus de quarante heures. » Le « Nadir » est avant tout un voilier de plaisance, prévu pour embarquer moins de dix personnes. Une telle navigation, avec plus de trente passagers, devient extrêmement dangereuse. « Lorsque nous sommes arrivés à proximité de Lampedusa, vers 21 heures, le lendemain, les Italiens nous ont demandé d’accélérer pour nous rendre le plus vite potential en Sicile, poursuit Pietro. Mais la mer était trop grosse pour nous y aventurer. Nous avions des personnes à bord avec des problèmes médicaux et d’importants traumatismes psychologiques. L’ordre du MRCC nous faisait courir un grave hazard. » Après une nuit entière de négociations, le « Nadir » est finalement autorisé par la capitainerie, et non par les autorités romaines, à entrer dans le port de Lampedusa.
« Ce kind d’opération de sauvetage n’aurait pas pu être effectuée par un des gros bateaux de sauvetage comme ceux de Médecins sans frontières ou de SOS Méditerranée, explique José Benavente, le fondateur des Pilotes volontaires. Les petites embarcations comme le » Nadir » ne peuvent certes pas embarquer plusieurs centaines de rescapés mais elles ont la possibilité de venir au plus près des bateaux en détresse, sans les mettre en hazard, pour les sécuriser. Elles sont aussi moins soumises aux interdictions administratives que subissent les autres ONG et assurent donc une présence plus régulière en mer. En outre, elles obligent souvent les autorités à prendre leur responsabilité en mobilisant les garde-côtes italiens lorsqu’elles font face à un trop grand nombre de personnes à secourir. »
Au milieu de l’immensité bleue, des bateaux surchargés
Quarante-huit heures après cette opération de sauvetage, dix ans jour pour jour après la tragédie du 3 octobre 2013, qui avait causé la mort de 368 exilés, l’équipage de Pilotes volontaires se prépare sur le tarmac de l’aéroport de Lampedusa à prendre de nouveau son envol. Il est 15 heures quand le petit bimoteur décolle en path de la Tunisie.
Depuis plusieurs mois, de plus en plus d’exilés prennent cette route migratoire depuis l’Afrique. Leur nombre a même augmenté depuis la signature entre Bruxelles et Tunis, en juillet 2023, d’un nouvel accord sur le contrôle des frontières. Une zone d’exclusion aérienne a, dans ce cadre, été décrétée, empêchant le « Colibri 2 » d’approcher à moins de 40 milles nautiques des côtes tunisiennes. « Dans cette zone, on peut imaginer que les garde-côtes interceptent les navires, comme ça se fait au massive de la Libye, explique José. On ne sait pas ce qu’il s’y passe. Mais, au-delà de cette limite, nous pouvons intervenir. Et dès que nous apercevons un navire en difficulté, nous signalons sa place aux autorités italiennes et aux navires de sauvetage des ONG. »
À côté du pilote, Alix Souron-Cosson, une jeune étudiante en droit des étrangers, bénévole au sein des Pilotes volontaires, fait le lien depuis les airs avec leur agent de liaison à terre. Assise derrière, Gaëlle Henkens, travailleuse sociale en Belgique et photographe indépendante, elle aussi bénévole pour l’ONG, prend des clichés de tout ce que l’équipage aperçoit en mer.
Au bout d’une heure de vol à peine, Alix distingue dans ses jumelles deux minuscules taches multicolores au milieu de l’immensité bleue. Des bateaux, surchargés. À leur bord, une cinquantaine d’exilés serrés les uns contre les autres, sans gilets de sauvetage, font route vers l’île de Lampedusa. Tandis que le « Colibri 2 » se rapproche, la jeune femme se sert de son téléobjectif pour faire le level sur le nombre de personnes en hazard. Puis le petit avion reprend la path de Lampedusa, à la recherche du « Nadir », qui a déjà repris la mer.
Une fois repéré à quelques milles nautiques de là, José Benavente s’en approche et, grâce à la radio marine embarquée, leur signale la place des deux bateaux. Le voilier fait immédiatement route vers eux. Pendant presque deux heures, l’aéronef fait des allers-retours entre la place des deux embarcations d’exilés et le ketch de l’ONG Resqship, jusqu’à ce que ce dernier décide de mettre à l’eau son annexe, plus petite et plus rapide pour aller à la rencontre des exilés. Dans les airs, les pilotes volontaires observent et documentent le sauvetage en photographs.
En route pour le « hall tunisien »
Bientôt la centaine d’exilés est équipée de gilets de sauvetage. Not possible pour le « Nadir », cette fois, d’embarquer un nombre aussi necessary de rescapés. Il faudra attendre plusieurs heures que les garde-côtes décident de les rejoindre. Après quatre heures de vol, le « Colibri » doit, pour sa half, regagner l’île. Ses passagers n’auront la affirmation que le lendemain qu’un navire de la Guardia di Finanza (douane italienne) est bel et bien intervenu pour récupérer les naufragés. Le « Nadir » pour sa half a repris sa route sur ce que les ONG nomment le « hall tunisien », dans l’espoir de continuer à sauver des vies. Quelques jours auparavant, en une seule journée, les Pilotes volontaires avaient repéré pas moins de 29 embarcations d’exilés en détresse.
En mer ou dans les airs, ces deux associations de sauveteurs existent uniquement grâce à la mobilisation des citoyens européens qui les financent. « Nous avons besoin qu’ils soient encore plus nombreux, confie José Benavente, de retour à son appartement situé dans le centre-ville de Lampedusa. Nous allons bientôt avoir des frais importants de upkeep sur le « Colibri ». Il nous faut collecter plus de fonds si nous voulons parvenir à continuer notre mission. » Ce 3 octobre, 100 personnes peuvent maintenant, grâce aux équipages de Resqship et de Pilotes volontaires, espérer, comme Daniel arrivé la veille, se construire un avenir meilleur sur des terres rêvées plus clémentes que celles d’où elles sont events.