Montée d’un nouvel antisémitisme, droitisation de l’électoral de la communauté juive… L’auteur de “La France d’après”, analyste politique, décrypte les mutations du pays dans un contexte brûlant.
Votre dernier livre évoque une France qui mute. L’actualité en France depuis le 7 octobre en est-elle une illustration ?
Le titre du livre, La France d’après (Seuil), vise à montrer remark nous sommes entrés dans une ère nouvelle. Où la France est toujours la France, mais elle a considérablement changé. Et toute une série de repères sociologiques et politiques ont été bouleversés en quelques décennies seulement.
À propos de l’antisémitisme, quelles évolutions majeures relevez-vous ?
Deux tendances majeures. D’abord, l’importation du conflit israélo-palestinien en France. Longtemps, l’affrontement est resté politique. Mais depuis le début des années 2000 et le déclenchement dans les territoires occupés de la seconde intifada, on a eu une montée des incivilités et des actes antisémites, en résonance avec cette state of affairs très dégradée au Proche-Orient, dans les principales villes françaises, notamment dans les banlieues.
C’est un changement majeur, appelé le nouvel antisémitisme, puis l’antisémitisme des banlieues. L’ancien antisémitisme, traditionnel, venu de l’extrême droite, n’avait pas disparu, mais ça signifiait que la communauté juive (environ 600 000 personnes, moins de 1 % de la inhabitants française) était victime de nouvelles formes d’agressions, qui étaient le fait d’individus issus de l’immigration arabo-musulmane et qui, par mimétisme ou sympathie avec la trigger palestinienne, se sentaient autorisés à s’en prendre à des représentants ou des représentations de la communauté juive, suspecte d’être en soutien d’Israël.
Qui apprend à vivre avec cette nouvelle menace ?
Progressivement, la communauté juive, qui avait déjà été harcelée par un terrorisme proche-oriental (la rue des Rosiers, and many others.), a appris à vivre avec ce sentiment de menace latente qui se réveille maintenant à chaque flambée de violence au Proche-Orient.Cela a entraîné le développement d’attitudes spécifiques, de réflexes intégrés : ne plus traîner longtemps devant l’école confessionnelle ou la synagogue, varier les trajets, and many others.
Il y a aussi ce que l’on a appelé le développement l’Alyah intérieur, ces juifs qui partent pour Israël, ça a toujours existé mais il y a une très forte augmentation à partir des années 2000. Ce qui explique aussi le bilan élevé de victimes françaises le 7 octobre, avec 40 morts, et sept otages.
Cette nouvelle donne a aussi des conséquences politiques, électorales…
C’est la deuxième évolution, avec la droitisation nette de cet électorat juif. Consideration, pas d’essentialisation : cet électorat, comme tout électorat sociologique ou culturel, n’a jamais voté de façon homogène pour un camp ou un autre.
Mais jusqu’au début des années 2000, et de manière historique, le centre de gravité électoral de la inhabitants juive penchait plutôt à gauche. Au nom de choses très anciennes : le fait que la Révolution française ait intégré les juifs en leur donnant des droits civiques, l’Affaire Dreyfus, Vichy, and many others.
La première manifestation française de cette droitisation, c’est l’élection française de 2002, avec un rating élevé pour Alain Madelin, que l’on avait vu quelques semaines avant le scrutin, en tête de cortège, avec François Bayrou, d’une grande manifestation de soutien à Israël et contre l’antisémitisme.
Dans les années 2000, qui ont aussi été les années Jospin, la gauche française a été très mal à l’aise avec la montée de ce nouvel antisémitisme, et elle n’a pas nommé les choses, disant ne vouloir stigmatiser personne. Là s’opère la bascule à droite, et Sarkozy, à l’époque, comprend ça, et prend des positions très fermes sur la défense de la communauté juive. Dernier épisode de cette droitisation : les scores tout à fait spectaculaires obtenus par Zemmour dans cet électorat-là.
Ce qui peut étonner, non ?
Parmi les électeurs français résidant en Israël, par exemple, il fait 56 %. Dans le nord du XVIe arrondissement de Paris qui se caractérise par une forte présence de la communauté juive, on survote largement pour Eric Zemmour. Dans le XIXe, dans les quelques bureaux de vote où l’on trouve une présence significative de la communauté juive, il y a un pic de vote Zemmour à l’échelle de cet arrondissement : 15 % alors qu’il fait 4 ou 5 % dans les bureaux de vote limitrophes.
Alors même si Zemmour n’a jamais fait mystère de sa judéité, en même temps, il avait eu des propos qui auraient pu être rédhibitoires dans la communauté juive, comme “Pétain qui protégeait les juifs”, and many others. Ça veut dire que ce qu’il raconte par ailleurs, sur le péril islamiste, le choc de civilisations, and many others., a été reçu 5 sur 5 par toute une partie de l‘électorat juif.
Et on observe désormais un vote majoritaire, dans les quartiers populaires, pour La France insoumise…
C’est le troisième phénomène : une inversion de polarité sur l’antisémitisme en France. Là, on peut prendre comme level de départ 1990, avec la profanation du cimetière juif de Carpentras.
Énorme émotion dans le pays…
Oui, et le Entrance nationwide est aussitôt jugé responsable, après “Durafour crématoire”, “Les chambres à gaz level de détail de l’histoire”, et Jean-Marie Le Pen qui type que “les juifs ont trop de pouvoir dans les médias”. S’organise une énorme manifestation, avec François Mitterrand en tête du cortège. Ce que l’on n’appelait pas encore l’arc républicain se forme.
Le paria, c’est le FN, et Jean-Marie Le Pen. 33 ans plus tard, quand des cases de la communauté juive organisent une manifestation en hommage aux victimes du 7 octobre, des députés RN s’y rendent et sont plutôt bien accueillis. Et aux yeux de l‘opinion et de la communauté juive, le parti hors de l’arc républicain sur cette query, c’est LFI.
On voit le retournement sur trente ans. Les données de l’Ifop ont montré qu’à la dernière présidentielle Jean-Luc Mélenchon a fait 69 % des voix dans l‘électorat qui se dit de confession musulmane. LFI et notamment Jean-Luc Mélenchon se tiennent sur des positions extrêmement fermes qui les mettent au ban de l‘arc républicain et continuent qui d’accroître la fracture qui peut exister entre cette formation politique et la communauté juive.