« Je me suis montrée pour aider les autres. Je ne regrette rien. » Depuis la parution de l’article de l’Humanité, le 18 octobre, où Alice Béranger est sortie de l’ombre pour dénoncer les situations d’accueil fortement dégradées de sa grand-mère dans un Ehpad du groupe Emera, son téléphone n’arrête pas de sonner. « Je reçois 40 à 50 coups de fil par jour. Des journalistes. Mais, surtout, des familles en souffrance et des soignants qui me livrent leurs témoignages. »
Après avoir raconté pourquoi elle avait porté plainte « pour violences habituelles contre une personne vulnérable », notamment à trigger de la dénutrition sévère dont aurait souffert son aïeule, son récit fait boule de neige. Mais le retour de bâton n’a pas tardé.
Dans la presse, la directrice de la construction Douceur de France, basée à Gradignan, à côté de Bordeaux, l’a accusée de tenir des propos diffamatoires. « C’était assez violent, soupire-t-elle. Je songe à demander le statut de lanceuse d’alerte. Les autres familles et moi voulons juste que le boulot soit bien fait pour nos proches, avec un soupçon de bienveillance, si attainable », explique-t-elle.
Sur ce file, Emera, interrogé par l’Humanité, persiste et signe : « Nous tenons à préciser que la résidente de notre établissement de Gradignan n’a jamais perdu 15 kg, c’est aisément démontrable par le file médical que nous tenons à disposition de la justice. »
«J’ai honte de ne pas en avoir parlé avant»
De son côté, maître Pierre Farge, l’avocat d’Alice Béranger, pointe des méthodes douteuses : « Ma cliente a ensuite reçu un courrier pour lui annoncer que le médecin référent ne pouvait pas s’occuper de sa grand-mère de 96 ans. Ça va très loin. » Depuis l’explosion médiatique des accusations de maltraitance au sein de la société comptant une centaine de constructions dans le pays, lui aussi reçoit des appels quotidiens et a déjà recensé plus d’une quinzaine de dépôts de plainte.
Si Emera tient « une nouvelle fois à démentir toutes les accusations de maltraitance portées contre le groupe à partir d’une déformation de la réalité de chacun des faits présentés » et rappelle « que tous nos établissements font l’objet d’un suivi précis par les autorités de santé », ce sort de discours a été, pour certains, la goutte d’eau. Découvrant qu’elle n’était pas un cas isolé, Jeanne (1) tient désormais à raconter son histoire.
« Mon père et ma mère étaient aussi à Douceur de France. On payait 9 000 euros par mois pour eux deux. Tout a commencé à dégringoler en 2019 avec le départ du sous-directeur. » Au décès de sa mère, son père reste seul. « Il m’est arrivé de le trouver dans le noir, les volets fermés, pas habillé à 10 heures du matin. On l’a passé en nourriture mixée sans nous en parler. Tout ça m’a mise en colère », s’étrangle-t-elle.
Après des signalements à la route que nous avons pu consulter, Jeanne finit par le changer d’établissement en avril dernier. « J’ai honte de ne pas en avoir parlé avant. Rien ne va dans ce système où ces entreprises sont cotées en Bourse », assène-t-elle.
Toujours dans la même construction, Clémence (1), soignante, a également constaté, une « dégringolade » après le Covid : « Des personnels non diplômés ont remplacé les plus anciens, partis. J’ai vu des résidents en fin de vie laissés complètement de côté. Des défauts de soins graves avec des contentions non mises sur les fauteuils. Il y avait deux infirmières pour 117 pensionnaires. Les plaintes des familles étaient récurrentes. Je me mettais totalement à leur place. » Après avoir fait half à plusieurs reprises de manquements, elle choisit de mettre les voiles.
Catherine (1) s’est, elle, lancée dans la recherche de soignants et victimes prêts à dénoncer ces pratiques. Avec d’autres familles, elle communique by way of un groupe WhatsApp. « Il faut qu’Emera arrête de dire que nous racontons des mensonges ! Début octobre, ma mère, qui est dans l’Ehpad de la Tournelle, à la Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine), a été enfermée vingt-quatre heures dans sa chambre sans boire ni manger. Tout le monde a cru qu’elle était hospitalisée alors que ce n’était pas le cas… C’est un intérimaire qui nous a alertés. La route s’est excusée et m’a demandé de ne pas porter plainte. »
Des problèmes «d’hygiène corporelle»
Mais, après avoir adressé une réclamation à l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, où elle pointe aussi des problèmes « d’hygiène corporelle », Catherine ne compte pas en rester là. « Pourquoi l’ARS ne fait rien ? Pourquoi le groupe continue-t-il d’être dans le déni alors que le problème semble bien plus world ? s’énerve-t-elle. Je cherche une place ailleurs pour ma mère. Je n’ai plus confiance. Quand j’ai signalé à Emera qu’il y avait un problème, la route locale m’a parlé de sous-effectif et m’a ensuite proposé une invitation au restaurant. »
La mise sous les projecteurs de l’entreprise a également rouvert des plaies impossibles à cicatriser. Le 29 septembre 2022, le père de José Maugée, souffrant de troubles cognitifs, s’était enfui de l’unité protégée de l’Ehpad du Pré du Lac, à Châteauneuf-Grasse (Alpes-Maritimes). Il sera retrouvé décédé 5 kilomètres plus loin, le 12 octobre. « Il a pu s’échapper automotive les portes se sont ouvertes pendant des opérations de upkeep et que l’établissement n’était pas intégralement clôturé, précise-t-il. La route est coupable de ne pas l’avoir gardé en sécurité, alors qu’on l’y avait mis justement pour ça. Il n’y sera même pas resté deux mois. » Si sa sœur a déposé plainte à la gendarmerie de Roquefort-les-Pins, José Maugée attend maintenant que la justice s’empare de ce drame.
Alors que la loi sur le bien-vieillir sera présentée à l’Assemblée nationale, le 20 novembre, pour Me Farge, il est temps que les lignes bougent : « Il faut arrêter de multiplier les textes qui ne servent à rien, déplore-t-il. Sa rapportrice, la députée Anne Vidal (Renaissance) est une VRP des Ehpad ! Ce n’est pas non plus le recrutement de 50 000 infirmiers et aides-soignants annoncé par Emmanuel Macron qui vont changer les choses. Combien faudra-t-il de plaintes pour obtenir une réforme digne de ce nom ? »
(1) Le prénom a été changé.