« La maison brûle, et nous nous demandons qui a jeté un seau de travers », résume Me Paul Mathonnet, vendredi après-midi, quand il prend la parole devant l’austère « part du contentieux » du Conseil d’Etat. Une décision en urgence avait permis de suspendre, cet été, la dissolution des Soulèvements de la Terre décrétée par le gouvernement. Cette fois, il s’agit de se prononcer au fond. L’heure est grave. La décision de la plus haute juridiction administrative, dont le délibéré ne devrait pas prendre plus de quelques semaines, revêtira la solennité d’une jurisprudence.
Longue file d’attente, devant les grilles. Petite foule, sur la place du Palais Royal. Les soutiens aux Soulèvements de la terre ne s’y trompent pas et sont venus nombreux. Auguste, étudiant au musée de l’Homme, bat la semelle avec quatre amis. Il n’était pas à Sainte-Soline ni aux manifestations contre l‘autoroute A69, mais s’insurge contre « la criminalisation » de l’écologie et des Soulèvements de la Terre, alors que « les enjeux environnementaux ne sont pas du tout pris en compte par le gouvernement ». Les autres hochent la tête. Ils ont tous moins de vingt-cinq ans et le regard grave.
Dans l’immense salle aux parquets cirés où s’entasse le public, leurs paroles font écho à celles des avocats. Oui, les Soulèvements de la Terre sont « l’expression collective d’une radicalité », admet Me Paul Mathonnet. Décrocher le portrait du Président de la République, sectionner des tuyaux, bloquer une rue, désarmer des installations : ces actions « symboliques » visent à « instaurer un rapport de power ». Mais la trigger est juste. Et les personnes physiques jamais visées. Où est le bother grave à l’ordre public ?
« Dissoudre une affiliation ou un groupement de fait est, par nature, un acte grave », concède le rapporteur du gouvernement. Pour lui, les « sabotages » auxquels appellent les Soulèvements de la terre « revêtent un degré de gravité suffisant pour justifier une dissolution », estime-t-il. S’ils ont raison de « faire savoir que la gestion de l’eau est une préoccupation majeure », il existe des « voies de droit » pour défendre ces idées. « Aucune trigger ne justifie l’atteinte à l’ordre public ».
« Ce mouvement est en avance sur notre époque », estime au contraire Me Antoine Lyon-Caen. Ses membres ont raison d’être « impatients devant l’urgence climatique ». Me Katia Guermomprez, à son tour, se lève. « Les questions environnementales n’ont jamais été au cœur des préoccupations de l’État », s’alarme l’avocate. L’urgence, dit-elle, c’est de « réveiller les esprits endormis ». Elle rappelle aux magistrats la décision qu’ils ont eux-mêmes rendue, le 1er juillet 2021. « Vous faisiez vous-même injonction à la Première ministre de prendre des mesures pour atteindre l’objectif de réduction des gaz à effet de serre des accords de Paris. Vous aussi, vous haussiez le ton ! ». Les Soulèvements de la terre ne doivent pas être dissous. Mieux : les juges doivent « consacrer positivement la légitimité de leur motion ».
Sur le parvis, Antonin hausse les épaules. « On a les contacts entre nous, on sait qui agit et où ». La fin des Soulèvements de la terre, explique en substance le jeune militant, serait une injustice mais pas un drame. « On n’a pas besoin d’une affiliation ou d’un mouvement en tant que tel pour agir. Ce sera plus compliqué. Ça prendra une autre forme. Mais notre fight continuera ». Il se souvient, il y a quelques années, des manifestations lycéennes. A l’époque, lui et ses potes « critiquaient de ouf » ceux qui masquaient leurs visages. A présent, surveillance de masse oblige, tout le monde le fait. « La première violence, c’est celle de l’État, conclut Béatrice. La radicalité appelle la radicalité ».