Dans sa voix, la colère se mêle à l’épuisement. Au terme d’un an et demi de cauchemar, Alice B., psychopraticienne, a fini par porter plainte contre X pour « violences habituelles sur une personne vulnérable n’ayant pas entraîné d’incapacité supérieure à huit jours ».
Depuis le 17 mars 2022, sa grand-mère de 96 ans réside dans un Ehpad du groupe Emera, situé à Gradignan (Gironde), un établissement dont le nom lui encourage aujourd’hui une ironie douloureuse : Douceur de France. « Cela fait un an et demi que ma mère et moi essayons de parler à la course, raconte-t-elle. En lisant des paperwork internes, j’ai découvert qu’on se trompait souvent dans les médicaments de ma grand-mère ; qu’elle souffrait de dénutrition extrême et qu’elle avait chuté à plusieurs reprises. Ils l’ont traitée comme du bétail. »
Les paperwork internes sont appelés « transmissions », c’est un carnet de suivi dans lequel les aides-soignantes notent scrupuleusement tout ce qui concerne sa grand-mère. Nous avons pu consulter 24 pages de transmissions, qui recensent effectivement une longue liste d’incidents. Le 16 septembre 2023, par exemple, les soignants notent un « risque de dénutrition sévère », avec une perte de poids de près de 15 kg par rapport au poids le plus élevé noté le mois précédent. Alice guarantee ne jamais en avoir été alertée.
100 doses de médicaments à préparer seul pour un intérimaire
Le 31 décembre 2022, on avait décidé d’administrer à sa grand-mère une gélule de Lamaline à la suite d’une chute, un antalgique associant paracétamol et poudre d’opium. « C’est un médicament strictement interdit pour ma grand-mèrequi ne le tolère pas depuis qu’elle est jeune », guarantee Alice. De même, le 11 septembre 2022, une chute survenue dans la salle de bains n‘avait donné lieu à aucun signalement, ni à la famille, ni au médecin.
Dans sa plainte, déposée le 3 octobre dernier et transmise au parquet de Bordeaux, Alice pointe d’autres problèmes. « Ma grand-mère prend des cachets quotidiennement, déclare-t-elle. Un jour, je suis arrivée à l’Ehpad. L’infirmière en chef et la directrice m’ont informée qu’un intérimaire s’était trompé dans l’administration de ses cachets et qu’il lui avait donné sa prescription, plus celle d’un autre affected person. Après explications avec cet intérimaire, ce dernier m’a informé qu’il avait plus de 100 doses de médicaments à préparer seul et qu’il ne fallait pas s’étonner qu’il y ait des erreurs. »
Pour Alice, la qualité de la prestation est sans rapport avec le coût de la chambre : 4 500 euros par mois. Contactée, la course du groupe nous répond ne pas être informée « à cette date de cette plainte », mais qu’elle se tiendra « à disposition de la justice, le cas échéant ».
« Tous les jours, on oublie de la descendre pour le repas ou on la laisse dehors, sous la pluie, pendant longtemps après 19 h 30 automotive elle est fumeuse. Ce manque de professionnalisme (…) est inconcevable. »
Le conjoint d’une résident
Ce n’est pas la première fois que le groupe Emera (47 établissements dans l’Hexagone, 2 800 salariés) fait parler de lui. Le 26 août, une pensionnaire de 80 ans s’est défenestrée à Grasse (Alpes-Maritimes), provoquant une imprecise d’émotion : dans la presse, des familles de résidents ont dénoncé erreurs de médication et problèmes d’hygiène. L’Humanité s’est procuré des éléments mettant en trigger la gestion de plusieurs établissements du groupe, selon un schéma similaire : du personnel en sous-effectif et visiblement pas toujours bien formé, un manque de matériel, des familles excédées.
Plusieurs échanges de mails visent notamment l’Ehpad La Tournelle, à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Le 20 janvier, c’est le conjoint d’une résidente qui envoie un message furieux à la course pour signifier son départ : « J’espérais un changement, mais au vu des plaintes incessantes de ma compagne, ce n’est pas le cas, écrit-il. Tous les jours, on oublie de la descendre pour le repas ou on la laisse dehors, sous la pluie, pendant longtemps après 19 h 30 automotive elle est fumeuse. Ce manque de professionnalisme (…) est inconcevable. »
Deux jours plus tard, c’est la fille d’une résidente qui alerte sur la scenario de sa mère, « retrouvée lundi matin avec un énorme hématome sur la tempe et au visage, ainsi qu’une ecchymose à l’œil gauche. (…) Que s’est-il passé, qui a frappé ma mère ? (…) Elle avait également une plaie sur le mollet droit liée à un fauteuil inadapté. (…) Je retrouve ma mère en pleurs et ce n’est pas la première fois. Elle était terrorisée et se plaignait de nouvelles douleurs sur le corps. (…) Elle me confie qu’elle a été frappée par une soignante qui s’occupe d’elle lors de la douche ».
L’établissement a déjà été la cible d’un sévère rapport d’inspection de l’ARS
Réponse de la course, que nous avons interrogée : « Le groupe a une politique de déclaration systématique de tous les événements à l’agence régionale de santé (ARS). Nous avons donc traité avec le plus grand sérieux la réclamation de la fille d’une de nos résidentes (…), concernant ces faits évoqués : nous avons d’ailleurs immédiatement mené une enquête interne auprès de la soignante concernée pour faire toute la lumière sur cet événement, mais aussi auprès de l’ARS, et nous avons répondu aux diverses questions et pris les mesures adaptées. Le file n’a ensuite pas donné lieu à des questions complémentaires de l’ARS et a été clôturé. »
En décembre 2021, l’établissement avait déjà été la cible d’un sévère rapport d’inspection de l’ARS, saisie à la suite de signalements d’employés dénonçant un sous-effectif récurrent. Dans son rapport, l’ARS pointe un « turnover essential sur les postes de directeur, d’infirmière coordinatrice et de médecin coordonnateur depuis plusieurs années », une « traçabilité inconstante des soins réalisés », un « non-respect des bonnes pratiques de distribution et d’administration des médicaments », ainsi qu’une « absence de tradition de déclaration des événements indésirables ».
« Vous retrouvez des résidents avec des bleus, les lèvres coupées parce qu’on leur a inséré des cuillères dans la bouche pour les nourrir…»
Une soignante d’un Ehpad Emera
Une soignante d’un autre Ehpad du groupe, qui préfère rester anonyme automotive « elle tient à son poste », nous brosse un tableau inquiétant des situations de travail : « On embauche des personnes pas suffisamment formées aux règles de prise en cost. Vous retrouvez des résidents avec des bleus, les lèvres coupées parce qu’on leur a inséré des cuillères dans la bouche pour les nourrir… Par ailleurs, nous n’avons pas les effectifs nécessaires, faute de remplacement des salariés en congés payés ou en arrêt maladie. On ne peut pas continuer à gérer 15 résidents chacun pour une matinée, c’est beaucoup trop. »
Les carences en matériel rendent le quotidien invivable, poursuit-elle : « Les familles se retournent contre nous, mais nous n’avons pas les moyens de travailler. En principe, des lève-malades électriques fixés à des rails nous aident à soulever les sufferers. Mais nous n’avons que 30 rails pour plus d’une centaine de résidents ! Quand vous devez porter à la seule drive de vos bras une personne grabataire de 140 kg, vous allez forcément vous faire mal… Et lui faire mal également. »
Interrogé, le groupe nous guarantee que le taux d’encadrement « est en moyenne annuelle de 67 collaborateurs pour 100 résidents, soit au-dessus de la moyenne du secteur (63 encadrants pour 100 locations). (…) Le groupe investit fortement dans la formation du personnel avec environ 150 collaborateurs engagés dans un processus de formation longue et avec 2,75 % de la masse salariale consacrés plus généralement à la formation, versus une obligation légale de 1 % ».
Toute baisse de marge est vécue comme un drame
Quand on leur demande les raisons d’une telle flopée de dysfonctionnements, tous les employés et cadres du groupe nous font la même réponse. Selon eux, la quête de rentabilité se heurte à un contexte dégradé, lié à la désaffection grandissante des familles pour les Ehpad, marquées par le memento encore vivace du scandale Orpea. Toute baisse de marge est vécue comme un drame, à plus forte raison depuis que le groupe héberge des actionnaires gourmands : le fonds d’investissement Ardian a fait son entrée au capital en juillet 2019.
« L’ensemble du secteur lucratif est confronté au même problème, observe Dominique Chave, secrétaire général de l’union fédérale de la santé privée CGT. Pendant des années, les Ehpad privés ont garanti des rendements très élevés à leurs investisseurs, mais deux facteurs ont récemment changé la donne : l’inflation, qui se répercute sur le prix des chambres, dans un contexte de baisse de pouvoir d’achat ; et le scandale Orpea. Résultat, les familles retardent le plus potential l’arrivée de nos aînés dans les établissements. »
Le taux d’occupation des établissements, c’est-à-dire le nombre de chambres occupées par rapport au nombre de chambres disponibles, chute depuis des mois. Emera n’est pas épargné. « La course générale nous met une pression incroyable pour remplir les chambres, souffle, sous couvert d’anonymat, la directrice d’un établissement du groupe situé dans le sud de la France. Le taux d’occupation tourne autour de 60 %, ce qui est très peu. Comme les rentrées d’argent diminuent, on nous demande d’économiser sur tout. »
Le groupe demande de rogner les frais de nourriture
Selon la directrice, le groupe lui demande de rogner les frais de nourriture : désormais, les repas d’un résident doivent coûter environ 4 euros par jour à l’établissement, au lieu de 5,80 euros. La qualité nutritive en pâtit : « Je demande aux cuisiniers de mettre davantage d’eau dans les aliments et de rajouter du sucre pour créer un sentiment de satiété. Nous ne sommes pas maltraitants par nature : si nous agissons ainsi, c’est que nous n’avons pas le choix. » Interrogé, Emera nous guarantee que « la restauration fait partie intégrante de la prise en soin globale du résident » et qu’il n’est pas query de lésiner sur ces dépenses.
« La conjoncture est difficile, nous explique cependant une ancienne directrice régionale d’Emera pour la région sud. D’un côté, les recettes baissent. De l’autre, les dépenses augmentent, poussées par l’inflation et le recours croissant à l’intérim. Néanmoins, je ne me fais pas de souci pour le groupe : ses marges sont juste un peu moins confortables qu’avant ! N’oubliez pas que le fondateur a gagné une fortune grâce à cette activité. » De fait, Claude Cheton, le propriétaire-fondateur d’Emera, figurait en 2021 parmi les millionnaires du secteur, du haut de ses 320 thousands and thousands d’euros de fortune personnelle.
Devant la raréfaction des shoppers potentiels, le groupe a dû recourir aux providers d’entreprises de placement, qui vont démarcher les familles pour les « rabattre » vers les Ehpad. À chaque nouveau résident, le groupe débourse 3 000 euros.
Dans le même temps, tous les moyens sont utilisés pour préserver l’picture d’Emera, criblé de mauvais commentaires sur Web. Plusieurs directeurs ou anciens directeurs d’établissement nous ont assurés que le groupe les poussait à rédiger des commentaires dithyrambiques dans Google pour noyer le flot des mécontents. Réponse de la course « La course générale du groupe n’incite pas ses collaborateurs à déposer des avis Google, pourtant, chacun restant libre de ses opinions, nous ne cherchons pas à les maîtriser (dans un sens ou dans un autre) ».