Dominique,
Ta silhouette, je la vois sur le perron du lycée Gambetta, quand nous arrivions ensemble pour aller enseigner et que nous gravissions ces quelques marches, alourdis par nos sacs, nos copies, nos livres et nos idées.
Alourdis, mais tellement légers ! Parce que toi et moi allions faire ce que nous aimions, ce pour quoi nous étions taillés : élever.
Ta silhouette, je la vois dans la salle des profs, je vois ta chemise, toujours, le gobelet que tu tiens, ton sourire malicieux parce que tu as un truc marrant à dire. Il était difficile de ne pas s’approcher, de ne pas t’écouter. De ne pas se laisser ravir par un conseil de lecture, une anecdote. Un rien. Un tout.
Ta silhouette, je la vois dans les couloirs, devant une classe un peu dispersée que ta présence ramenait au calme, parce que c’est monsieur Bernard alors bonjour m’sieur. C’était aussi ça ton pouvoir avec les élèves. Tu étais là pour eux, ils l’avaient compris et se nourrissaient en désordre de ta ardour contagieuse pour la littérature, de ta foi en l’homme, des espoirs que tu mettais en eux.
Ta silhouette, je la vois sur le perron du lycée Gambetta, quand nous arrivions ensemble et que tu disais aux fumeurs amassés devant l’entrée, « alors, on se fume un petit clou de cercueil ? », l’air satisfait, content material de ta vanne. Quelle ironie tragique que ce soit sur ce même perron où tu as usé tant de semelles que la vie t’ait été ravie. Tu ne l’as pas cherché, toi, ce clou. Il s’est planté en toi au hasard d’une haine aveugle et primitive. Quelle ironie aussi qu’un geste aussi sombre, aussi obscur, ait frappé celui que Victor Hugo aurait pu appeler « un porteur de flambeau ».
Te voilà élevé au rang des martyrs, toi, l’homme discret. Une Ardour en remplace une autre. Et quelle perte pour le monde.
Je n’oublierai jamais ta silhouette, sur le perron du lycée Gambetta.
Aurélie