Die (Drôme), envoyé spécial
Die, la Drôme, ses maisons en pierre, ses montagnes du Vercors qui l’encerclent, sa clairette, ses ravioles. Et sa salle polyvalente aux portes qui claquent et aux murs à la peinture rose un peu défraîchie comme il en existe des milliers dans la France des sous-préfectures.
Il est environ 20 heures, samedi, lorsqu’un homme du public, la cinquantaine en chemise grise, demande le micro en conclusion d’une desk ronde intitulée « Porter les ruralités engagées au pouvoir ! » « Essayer de construire une écologie populaire dans les campagnes est une initiative enthousiasmante, commence-t-il. Mais je suis un peu embêté parce que j’ai l’impression que ça percute une partie de l’idéologie écolo traditionnelle que j’entends depuis des années : remark fait-on pour parler aux populations des campagnes quand on est contre l’étalement urbain, quand on est contre le fait que chacun ait sa maison et son jardin alors que c’est le rêve d’une grande partie des gens ? » Sourires gênés par ici, applaudissement par là.
Quelques phrases qui font mouche pour pointer l’une des principales faiblesses du parti EELV : la fracture entre écologistes et habitants des campagnes se creuse alors que les premiers revendiquent être « les meilleurs alliés des territoires ruraux ».
D’où l’organisation à Die, du 6 au 8 octobre, de la première édition des universités des ruralités écologistes (URE), où il a été query de chasse, d’Airbnb, d’agriculture, d’artificialisation des sols, de mobilités ou encore du droit aux vacances. « Je voulais partir de ce qui marche, montrer que les ruralités écologistes existent », justifie Marie Pochon, organisatrice de l’événement et députée drômoise. L’une des rares élues de gauche à avoir conquis, grâce à une campagne législative axée sur les providers publics, une circonscription rurale.
Implanter ces URE dans le pays diois ne relève évidemment pas du hasard. Il suffit de se balader dans la sous-préfecture de 5 014 habitants, où le temps semble ralentir, pour le comprendre tant les mobilités douces et l’agriculture à taille humaine y sont développées. Le Diois est une terre féconde pour la pensée écologiste depuis quarante ans, « fertilisée » par les bifurqueurs et autres néo-ruraux. Le cœur de la biovallée et un lieu d’expérimentation de démocratie participative.
« On a intégré la caricature et on l’alimente »
Tous les territoires ruraux ne ressemblent pas à Die et ses alentours. Et beaucoup ne veulent pas entendre parler des écologistes souvent perçus comme des « bobos urbains qui voudraient tout interdire », à commencer par « la bagnole ». C’est tout l’enjeu : « la ruralité est un contrat politique pour faire tenir ensemble des aspirations différentes et parfois contradictoires », définit Isabelle Bizouard, maire PS de Die.
Remark faire ? Selon le chercheur au Centre d’Études Européennes et de Politique comparée Simon Audebert, il faut déjà identifier les varieties de ruralités : celles qui sont « attractives » et celles qui ne le sont pas, c’est-à-dire que les premières, bien aidées par « la présence d’un patrimoine naturel valorisé », attirent des habitants, et notamment des « néo-ruraux qui diffusent leurs idées » quand les territoires ruraux désindustrialisés et désertés ont plus tendance à se tourner vers l’extrême droite.
« Un problème de discours. On fait un complexe : on a intégré notre caricature et on l’alimente », explique Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat, non encarté chez EELV, et ancien maire de Percy (Isère) et ses 170 habitants.
« Nous devons aller vers le positif et ne pas montrer du doigt ou provoquer. Il nous faut faire consideration à qui on s’attaque. Par exemple, le modèle agricole est un choix politique, pas la responsabilité des agriculteurs », pose Guillaume Gontard, dont le groupe a déposé une proposition de loi sociale pour réorienter les voitures thermiques les moins polluantes, destinées à la casse par la prime à la conversion, pour créer une flotte sociale à vacation spot des personnes ne pouvant se passer de leurs véhicules sans pouvoir en acquérir un électrique.
François Alfonsi, eurodéputé corse de Régions et peuples solidaires (fédération de partis régionalistes alliée des Verts au Parlement européen), le discours d’aujourd’hui n’est plus celui d’avant, et c’est un problème : « Avec le Larzac, José Bové, la philosophie du retour à la terre, les écologistes avaient de l’écho dans le monde rural. Maintenant, ils ont tendance à surtout parler aux urbains. On ne peut pas dire à un chasseur de façon abrupte qu’il fait n’importe quoi quand il a hérité de cette ardour sentimentale de son grand-père à 15 ans », cite l’ancien maire d’Osani (98 habitants), qui proceed de penser que la doctrine écologiste a un fort potentiel de conviction dans les ruralités.
Médias coupables ?
D’après la Fédération des élus verts et écologistes (Feve), la France compte déjà 3 000 élus, dont 1 000 dans des zones rurales. Ils ont bien un bilan comme à Luc-sur-Aude avec un parc solaire citoyen ou à Saillans (Drôme), ville pionnière sur les habitats légers avant qu’elle ne bascule à droite en 2020.
« On a déjà du mal à mettre en valeur notre bilan dans les grandes villes, alors imaginez celui des petits », constate Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV et élue d’opposition à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), qui pointe « le silence des médias » alors que seuls Reporterre et l’Humanité n’étaient présents aux URE.
« Les écologistes sont présents dans les territoires mais on les entend moins que dans les grandes villes », abonde Marie Pochon, qui demande aussi aux siens de « sortir des postures verticales » qui consisteraient à venir apporter la bonne parole.
Environ 500 personnes, selon les organisateurs, ont donc convergé à Die pour réactualiser la stratégie des écologistes, qui restent persuadés que leur doctrine répond le mieux aux problématiques des ruralités qui subissent de plein fouet le réchauffement climatique. Une initiative qui donne des idées en interne puisqu’un format similaire est en cours de réflexion pour les quartiers populaires. Il pourrait voir le jour en septembre 2025.