Au volant du camion-école, Marie-Alice entre sur le parking occupé par les caravanes, vers le château de Bersol à Pessac, commune située à 6 kilomètres de Bordeaux. Ses élèves lui réservent un accueil chaleureux, certains courent après elle. Les « Alice ! » fusent dans tous les sens. L’enseignante les salue depuis sa fenêtre. Une fois le camion garé et les portes ouvertes, les enfants se précipitent à l’intérieur. La journée de classe start !
Depuis 41 ans, des écoles itinérantes parcourent la France
Les antennes scolaires mobiles (ASM) parcourent la France depuis 1982. Il en existe aujourd’hui une trentaine, répartie entre Lille, Perpignan, Toulouse, Grenoble, Pantin, Sarcelles, Villeneuve-d’Ascq, Rueil-Malmaison et Bordeaux, créée à l’initiative de l’Aide à la scolarisation des enfants tsiganes et des Frères des écoles chrétiennes. Dans le Sud-Ouest, c’est l’établissement catholique Saint-Genès La Salle, sous contrat d’affiliation avec l’État, qui gère ces antennes. À Bordeaux, deux enseignants, Guillaume Sergues et Marie-Alice Chambon, 55 et 49 ans, sont chargés d’aller à la rencontre des voyageurs. Lui entame sa 24e rentrée. Proche des familles qu’il connaît bien, il boit le café avec elles tous les matins.
Un apprentissage axé sur la lecture et l’écriture
Trois heures le matin et trois heures l’après-midi, ils apprennent aux enfants les savoirs fondamentaux comme lire, écrire et compter. Marie-Alice Chambon s’occupe des plus petits, entre 3 et 10 ans. Elle met un level d’honneur à les faire travailler en autonomie. Aujourd’hui, ils sont 13 dans sa classe à apprendre les bases de la lecture. « Parfois, j’ai le double d’élèves, d’autres fois ils sont cinq », souligne l’enseignante. À partir de 11 ans, les enfants se rendent dans le camion des plus grands, avec Guillaume Sergues qui les « aide à perfectionner leurs compétences pour qu’ils puissent lire et remplir des formulaires comme le permis de conduire, par exemple, mais aussi passer le certificat de formation générale » qui permet une insertion sociale et professionnelle. Chaque année, trois à quatre jeunes y sont préparés. « L’examen en candidat libre a lieu début décembre, et les élèves doivent passer une épreuve de français, une de maths, et préparer un oral sur une ardour ou un métier qu’ils aimeraient exercer », précise Marie-Alice Chambon.
Une école adaptée à l’itinérance des familles
« On change de terrain tous les dix à quinze jours, poursuit l’enseignante. Sur l’année, on en couvre une trentaine, qui représentent cinq grands groupes familiaux. » Pour suivre l’itinérance des voyageurs, le camion est équipé de tables et de chaises. Il dispose aussi de toute la panoplie de l’école avec stylos, feutres et cahiers. Les élèves ont chacun une pochette avec leurs travaux. « Aujourd’hui, on apprend la lettre O ! » lance l’enseignante. Pendant qu’elle s’occupe de Claire, 9 ans, des élèves doivent trouver si les pictures correspondent à un fruit ou à un légume. L’un d’eux hésite, et se tourne vers ses camarades de classe : « La tomate, c’est lequel ? » Une fois ses exercices finis, Claire, qui préfère les calculs, se plonge dans les additions.
Lecture, écriture, maths, les élèves abordent toutes les matières. Comme dans une classe « normale », ils utilisent aussi le numérique. Des tablettes sont mises à leur disposition sur lesquelles ils peuvent apprendre, through des jeux interactifs, à compter. Pendant la pause, ils en profitent pour se mettre au coloriage. Certaines de leurs œuvres sont affichées fièrement sur les placards arc-en-ciel. Le camion-école suggest aussi des activités diversifiées : une affiliation, Lectures Nomades, vient de temps en temps sur les campements pour lire des histoires aux enfants. Le réseau organise aussi des sorties scolaires au musée ou au théâtre. « Prochainement, il y aura une rencontre sportive pour la Coupe du monde de rugby avec les écoles de Bordeaux ! » s’enthousiasme Guillaume Sergues.
Un accès compliqué à l’école traditionnelle
Environ 400 enfants par an bénéficient de ce dispositif dans la métropole bordelaise. Parmi eux, une vingtaine est aussi scolarisée dans des écoles traditionnelles. « On ne prend pas les enfants dont la famille habite sur une aire d’accueil de manière fixe ou occupe un terrain familial. Si elles sont sédentaires, on leur conseille de les inscrire à l’école de la commune, explique Marie-Alice Chambon. Les dad and mom appréhendent parfois, ayant peur des démarches et de la paperasse administrative. Notre rôle est de les rassurer. »
Le rejet par les autres élèves peut également être une supply d’angoisse. Enfant, Mamour est allé à l’école quelque temps en CP et CE1 : « Il y avait du harcèlement et je n’ai pas envie que mes enfants vivent ça », admet-il. Père de deux enfants, il penche pour le Centre nationwide d’enseignement à distance (Cned). Le problème, c’est qu’il est plus difficile d’y accéder maintenant. Depuis l’adoption de la loi du 24 août 2021, dite loi sur le séparatisme, l’instruction en famille n’est acceptée que sur dérogation, devenue difficile à obtenir. « Depuis le mois de juin, nous avons été contactés par une trentaine de familles qui se sont vu opposer un refus de scolarisation à distance, qu’il s’agisse d’un refus franc ou d’une non-réponse », dénonce William Acker, délégué général de l’Affiliation nationale des gens du voyage. « Dans les deux tiers des cas, l’intervention de l’affiliation a permis de débloquer la scenario », poursuit-il. Ce phénomène est confirmé dans différentes régions de France. « Des enseignants nous appellent pour nous dire qu’ils sont témoins d’un changement de doctrine au niveau des instructions académiques, qui semblent avoir abandonné une certaine souplesse et une politique d’“aller vers” concernant la scolarisation des enfants de voyageurs. La consigne semble désormais de refuser l’instruction en famille. »
Jason, 33 ans, était, autrefois, scolarisé dans une école réservée aux enfants du voyage, à Toulenne, à une heure de Bordeaux : « On n’apprenait rien, c’était histoire de dire… » Il y est resté jusqu’à ses 15 ans, avant de rejoindre l’ASM. Aujourd’hui, son fils, « déterminé à apprendre », swimsuit la classe de Marie-Alice Chambon. Au milieu des éclats de rire, cette dernière avoue « se régaler » à son poste. « J’ai une élève qui ne comprend pas pourquoi certains enfants pleurent quand ils vont à l’école ; elle, elle a hâte que le camion revienne… »