Derrière les verres teintés de ses fines lunettes, Merwan n’en perd pas une miette. Le jeune homme de 24 ans, étudiant en droit à la fac d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), était en visite chez des parents à Lille (Nord). Ce jeudi matin, il a sauté dans un train pour assister à la deuxième journée « portes ouvertes » organisée à l’Humanité.
« C’est la première fois de ma vie que j’entre dans une rédaction », dit-il, sagement assis sur une des chaises dépliées, pour l’occasion, dans le vaste hall du Carré Pleyel (Seine-Saint-Denis). Merwan a découvert l’existence du journal grâce à ses copains de Salon-de-Provence, tous communistes. Il le lit « occasionnellement » et s’informe, de préférence, sur TikTok et sur Twitch. Il se demande si les journalistes ont des « lignes rouges ». « Est-ce qu’il y a des mots, des thèmes que vous vous interdisez ? »
Villepin ou le contrôle coercitif ?
« Je suis curieuse de voir comment ça fonctionne, un quotidien », annonce Angélique. Il y a « fort longtemps », cette Franco-Américaine de 35 ans se serait bien vue journaliste. Elle a finalement atterri dans un ministère où elle s’occupe, « pour l’instant », de politiques sociales. « Je ne sais pas où je serai en 2027 », glisse-t-elle, assurant mal vivre « la chasse aux bénéficiaires du RSA et aux immigrés » de l’actuel gouvernement.
Angélique apprécie la « ligne progressiste » de l’Huma, lit peu les journaux, mais « consomme beaucoup » de capsules vidéo sur Instagram. Très « préoccupée » par la question palestinienne, très « attristée » par la situation aux États-Unis, elle pense que « le droit est un rempart » et s’interroge sur son avenir. « Je ne vois pas trop de perspectives », soupire-t-elle.

Le cortège du journal est serré, la place manque, il va falloir choisir. Les ambitions présidentielles de Dominique de Villepin ? Les ravages du contrôle coercitif ? Les deux sujets sont en concurrence, aux lecteurs de décider. Des mains se lèvent. Sur Twitch aussi, ça vote. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac prend une claque, le sujet sur le contrôle coercitif l’emporte. Passé les ultimes arbitrages, la réunion prend fin. Tandis que les journalistes regagnent leurs bureaux dans les étages, les lecteurs leur succèdent autour de la table et le micro circule.
« Serait-il envisageable d’avoir un prix ? » demande Mathis, 18 ans
Atteint d’un syndrome autistique, Oscar a étudié le journalisme dans une école spécialisée et, depuis peu, dirige sa propre revue. « J’ai toujours bénéficié des services publics, raconte-t-il. Sont-ils, pour vous, un bien commun ? » Maryse s’interroge sur la place accordée à l’image. Isabelle sur la confection du cortège. Mathis, 18 ans, a pu s’abonner à la version numérique, pendant six mois, pour 5 euros par mois. La version papier numérique coûte 15 euros, croit-il savoir. « Serait-il envisageable d’avoir un prix ? » interroge-t-il.

Alexandre, lui, s’inquiète de l’influence croissante des influenceurs d’extrême droite. « Avez-vous songé à démarcher leurs équivalents à gauche ? » « Faites-vous parfois appel à l’intelligence artificielle pour écrire vos articles ? » questionne l’un. « Je ne vous ai pas vu discuter de la une, c’est normal ? » s’étonne l’autre. « Serait-il possible d’envisager des abonnements communs avec des médias proches de vous ? » suggère un troisième.
« Quelle est la part des contrats non précaires ? » « Si un milliardaire de gauche proposait de vous financer, que diriez-vous ? » « Autrefois, vous étiez l’organe central du PCF, maintenant vous êtes le journal de Jean Jaurès », se souvient Pierre, lecteur depuis 1973, qui croit parfois déceler « une petite lutte interne entre ces deux tendances ». « Comment vivez-vous ça ? » interroge-t-il.
Dans l’assistance, plusieurs journalistes en herbe
Milan a transmis sa demande de stage et, les mains vides, monte aux étages pour visiter la rédaction. « Je me doutais que les réunions de rédaction se passaient plus ou moins comme ça, assure la jeune étudiante. Mais j’ai été surprise, quand même, par la fluidité du débat. » Même constat chez Margaux, qui étudie les sciences politiques à Newcastle (Angleterre) et contribue au journal de son université.
« On peut y exprimer des avis mais, contrairement à vous, on n’appuie jamais beaucoup », dit-elle. Sur Gaza, par exemple. « Il a fallu attendre que l’université publie son propre communiqué pour qu’on ait enfin, nous étudiants, le droit d’écrire dessus. »
Antoine, 18 ans, vient lui aussi de déposer une demande de stage. Il a toujours voulu devenir journaliste, dit-il. Aime « informer, partager, donner son avis ». Ne se définit pas comme communiste. Mais semble avoir déjà compris l’essentiel. « Avec le capitalisme et tout, c’est difficile de mettre en œuvre ce que disait Jaurès. »
Le journal des intelligences libres
« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »Tel était « Notre but », comme l’écrivait Jean Jaurès dans le premier éditorial de l’Humanité.120 ans plus tard, il n’a pas changé. Grâce à vous. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.Je veux en savoir plus !