La colère gronde chez Thales. Des augmentations salariales réduites à peau de chagrin, un plan de suppressions d’emplois chez Thales Alenia Space (TAS), une explosion des risques psychosociaux et un État actionnaire aux abonnés absents… Chaque jeudi, depuis le 9 janvier 2025, à l’appel d’une intersyndicale FO, CFE-CGC, CFDT, CGT, les salariés protestent contre l’absence d’augmentation collective et individuelle des salaires dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) 2025.
Face à des propositions jugées « insuffisantes » par les salariés, le mouvement a pris de l’ampleur : les lignes de production du radar RBE2 à destination des Rafales sont à l’arrêt depuis un mois à Mérignac ; les débrayages sur des sites de TAS sont quotidiens ; les travailleurs sont de plus en plus nombreux à participer aux innombrables rassemblements et manifestations. Ils exigent « 3,5 % d’augmentation générale » contre les maigres primes et les 2 % imposés fin janvier par la direction, à peine à hauteur de l’inflation.
Une politique salariale deux poids deux mesures
« Les collègues ne se sentent pas reconnus, se désole Fabrice Rialet, délégué CFE-CGC de TAS. Ils considèrent que la répartition de la richesse au sein du groupe n’est pas satisfaisante au regard de ses résultats très croissants. » Le leader tricolore de technologie et de défense se trouve effectivement en excellente santé.
Le 4 mars, le groupe annonçait plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires (contre 18,4 milliards en 2023), pour un résultat net consolidé de 1,42 milliard d’euros. La direction se réjouissait aussi d’un carnet de commandes record de plus de 50 milliards d’euros en 2024. Dans le même temps, l’entreprise de défense française s’empresse de distribuer un milliard d’euros aux actionnaires, « mais 0 % d’augmentation pour les salariés de la branche spatiale ! » s’insurge Thomas Meynadier (CGT).
« La politique salariale est la goutte d’eau », confesse Yves Cognieux, élu syndical CFDT. Le climat social était déjà tendu : le constructeur de satellites, société conjointe entre Thales (67 %) et l’italien Leonardo (33 %), procédant, depuis septembre 2024, à la mise en œuvre de l’accord de gestion active de l’emploi (GAE). Contacté, Thales assure que « le plan d’adaptation a été conçu pour apporter toute la flexibilité nécessaire pour répondre à la demande future de satellites et de constellations de télécommunications ».
L’accord GAE est, en principe, une alternative sociale aux plans de licenciements, conduisant les salariés à essentiellement négocier sur les conditions de départ des plus âgés et les formations. Celui-ci prévoit de supprimer près de 1 300 emplois en Europe, dont 980 postes en France sur ses sites de Toulouse et de Cannes. Soit un quart des effectifs français.
« Ce dispositif est un non-sens industriel »
60 % des suppressions de postes ont déjà été réalisées. Pour autant, Thales « confirme que les salariés concernés ont bénéficié de la solidarité des autres entités du groupe et conserveront leur emploi », mettant en avant des mesures de mobilités géographiques et internes. Et précise que « la mise en œuvre de ce plan se déroule progressivement et en concertation avec les partenaires sociaux ».
De leurs côtés, les syndicats espèrent toutefois ralentir le processus, en mettant en avant l’augmentation du carnet de commandes. « Lors d’une commission centrale anticipée (CCA) le 24 mars dernier, nous avons demandé le gel du dispositif, mais la direction a refusé et a affirmé seulement fortement ralentir sa mise en œuvre », se désole le représentant du personnel.
Pourtant, « la charge de travail prévue par la direction jusqu’à fin 2026 était suffisante pour occuper la totalité des salariés » affirme Thomas Meynadier, de la CGT. Derniers affrètements en date : le contrat de fabrication de deux satellites géostationnaires de télécommunications avec l’opérateur Space Norway en février, celui avec SKY Perfect JSAT Corporation en mars ou encore l’obtention du contrat de 51 millions d’euros avec l’Agence de l’Union européenne pour le programme spatial début avril.
« Ce n’est pas une surprise, regrette le cégétiste. Il n’y a aucune baisse d’activité qui justifierait un plan social. Dans certains services, nous nous retrouvons même en difficulté pour assurer la charge de travail. Ce dispositif est un non-sens industriel qui va nous pénaliser et nous mettre en difficultés financières. »
Une version que conteste le groupe, pour qui « la majorité des commandes reviennent au domaine de l’observation, de l’exploration et de la navigation par satellites » et non aux satellites de télécommunications géostationnaire. Pourtant, si le marché spatial se transforme, Fabrice Rialet, élu CFE-CGC, affirme qu’il « continue à croître ».
Souffrance au travail
D’ailleurs, deux expertises commandées avant la mise en œuvre de la restructuration appuient la thèse des syndicats. Selon le cabinet Syndex, « le plan de suppressions de postes voulu par la direction n’avait aucune justification industrielle ». Une seconde expertise rendue par Technologia en juillet 2024 a mis en évidence une situation de tension qui serait comparable à celle vécue par France Télécom avant sa crise sociale, avec « plus de 80 % des salariés opposés au plan, plus de la moitié en surcharge de travail et 13 % en situation d’épuisement professionnel », alarme Thomas Meynadier. Contacté, Thales assure que l’expertise Technologia « a notamment permis de consolider le plan d’action de prévention des risques psychosociaux ».
Pourtant, en janvier 2025, l’inspection du travail est alertée suite à la multiplication par sept des visites à la médecine du travail de l’entreprise. Dans un courrier envoyé à la direction de TAS début février, l’inspectrice du travail imposait à l’entreprise « de mettre en œuvre des mesures curatives et immédiates afin de prendre en charge les situations de souffrance au travail » et annonçait envisager « d’adresser un rapport au directeur régional des entreprises, de l’emploi, du travail et des solidarités en vue d’une mise en demeure vous enjoignant à prendre toutes mesures utiles pour faire cesser le risque grave constaté ».
De son côté, Thales affirme « avoir mis en place des mesures d’accompagnement renforcées dédiées aux managers et aux équipes ». Pas de quoi convaincre Yves Cognieux (CFDT), pour qui « l’unique façon de prévenir les risques RPS est de redonner du sens au travail, et de faire en sorte de baisser la charge de travail individuelle insoutenable ».
L’absence de stratégie industrielle
« La gestion de la GAE et sa mise en application ont vraiment péché, la direction a voulu aller beaucoup trop vite et n’a pas anticipé de solutions, dénonce l’élu CFDT. Les plans de formation viennent seulement d’être mis en place, un an après son annonce alors que plus de la moitié du processus est entamée ! » Pas en reste, Fabrice Rialet, de la CFE-CGC, regrette que « le chemin pris par la direction ne soit pas forcément le plus adapté d’un point de vue social et pour la stabilité de l’entreprise, on a tendance à faire partir les gens aux dépens du maintien des compétences dans un milieu très spécifique. Il y a une réelle nécessité d’avoir une vision à long terme au lieu de répondre à des appels d’offres de marchés différents tous les trois ans ». « Ils n’ont aucune stratégie, poursuit Thomas Meynadier, à part la volonté de faire partir le plus du monde possible au plus bas coût ».
Si Éric Trappier, PDG de Dassault (actionnaire à 27 % de Thales), a botté en touche lors de son audition par la commission défense sur la situation salariale catastrophique au sein de Thales, Sébastien Lecornu, ministre des Armées également auditionné, a affirmé de son côté être attentif, et vouloir « une grande visibilité sur la répartition de la valeur dans les industries de la défense », avant d’ajouter que « ces entreprises font des profits, c’est très bien, mais la finalité est de réarmer ».
Reste à passer à l’action, puisque l’État détient 26 % du capital du groupe de défense et d’aérospatial, et représente son principal client. « Il est aussi partie prenante car nous fournissons des infrastructures satellitaires pour l’armée ou pour les recherches sur le réchauffement climatique, pour toutes ces raisons, l’État se doit de se positionner à défaut de voir la situation s’enliser », affirme l’élu CGT.
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