Élisabeth Borne, affublée de la mention « démocratie », empaquetée avec une cigarette électronique et un amoncellement de 49.3 à ses côtés… Ou encore Patrick Martin, président du Medef, aux côtés des journaux Les Échos et l’Humanité. À première vue, le concept prête à rire.
Depuis plusieurs jours, la tendance a envahi les réseaux sociaux : grâce à l’IA générative, les internautes reprennent un modèle pour créer leur propre « starter pack » – littéralement « pack de démarrage » – ou celui de personnalités. Il s’agit de se représenter sous forme de figurine, accompagnée d’objets ou de messages caractéristiques de sa personnalité. Avec l’explosion de la tendance sur les réseaux sociaux, figures politiques et influenceurs ont alimenté l’engouement en postant leur propre starter pack. Mais elle pose de nombreux problèmes. Explications.
L’IA utilisée à des fins racistes et sexistes
Une adjointe à la mairie de Sète, Corinne Azaïs, a partagé une image générée par l’intelligence artificielle reprenant la tendance du starter pack avec la mention « OQTF », suivie du slogan « 1, 2, 3, Viva l’Algérie ! « Je partira pa » (sic) ». On peut voir un homme affublé d’un ensemble de survêtement vert, d’une casquette Louis Vuitton, et, à côté, un avion, un drapeau de l’Algérie et un paquet de cigarette « du bled ». « Celui-là m’a beaucoup fait rire », commente l’adjointe à l’Éducation et à la jeunesse, affiliée au maire divers droite, au-dessus de l’image.
Laura Seguin, conseillère municipale à la mairie de Sète, dans l’opposition à gauche, a qualifié ce partage et ce commentaire de raciste. « Il s’agit d’une image indigne, stigmatisante, et sans ambiguïté quant à son caractère raciste », a-t-elle dénoncé au micro d’Ici, ajoutant adresser sa « solidarité à toutes celles et ceux qui se sont sentis insultés, discriminés ou stigmatisés par cette publication ». Elle a indiqué avoir saisi le procureur de la République dans un communiqué vendredi 11 avril. Le post a depuis été retiré du compte de Corinne Azaïs.
D’autres créations stigmatisantes et discriminantes générées par IA ont été partagées sur les réseaux sociaux. Une « CAF woman » nommée Fatima a été publiée, montrant une femme voilée, ses enfants dans les bras, à côté d’une carte vitale, un pot de pâte à tartiner et un ticket de caisse Lidl sur fond de drapeau algérien.
Un compte Tik tok a récemment été banni de la plateforme pour avoir généré le starter pack de Gisèle Pelicot. On peut voir la victime en pyjama à côté d’objets rappelant les multiples viols dont elle a été victime : un lit, une caméra, et un comprimé. Son mari Dominique Pelicot utilisait de puissants anxiolytiques pour l’endormir et organiser des viols pendant son sommeil. Cette reprise de la tendance à des fins masculinistes est extrêmement dégradante, sans compter l’adresse d’un site de libertinage auquel le visuel fait de la publicité.
L’empreinte carbone stratosphérique des tendances générées par l’IA
Plusieurs personnalités publiques ont dénoncé l’impact environnemental de l’IA générative, surtout pour des tendances très populaires comme celle-ci. « C’est un gouffre énergétique insensé » a dénoncé sur X Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes. « Derrière la magie, il y a une réalité qu’on oublie souvent de regarder : le coût environnemental de ces technologies », a rétorqué l’astronaute Thomas Pesquet, en réponse à son « starter pack » envoyé par les internautes.
Comment mesurer le véritable coût en énergie de la trend du starter pack ? Le coprésident de l’ONG Data For Good, Théo Alves Da Costa, explique auprès de France Info que pour établir son bilan écologique, « il faudrait que les sociétés qui ont développé ces IA génératives communiquent le détail de leur consommation énergétique. Or, les géants de la tech ne font pas œuvre de transparence en la matière », explique-t-il à nos confrères.
On m’a envoyé mon Starter Pack !On a tous vu passer cette tendance marrante sur nos réseaux. Grâce à l’IA générative, on peut désormais créer en un clic une figurine à son effigie. C’est bluffant, et un peu grisant, il faut bien l’avouer.
Mais derrière la magie ✨, il y a une… pic.twitter.com/ABbgvOrs83
– Thomas Pesquet (@thom_astro) 11 avril 2025
Néanmoins, quelques ressources nous permettent d’estimer le coût environnant d’une publication. Une étude réalisée par la chercheuse canadienne Sarah Luccioni, spécialisée dans l’impact écologique de l’intelligence artificielle, calcule que pour une seule image de très bonne qualité, générée par une IA comme Chat GPT par exemple, il faut environ 1,6 wattheure. Pour donner un ordre d’idée, c’est la quantité d’électricité nécessaire à la recharge d’un smartphone.
L’agence internationale de l’énergie (AIE), elle, a publié le 10 avril un rapport dans lequel elle établit que la consommation d’un centre d’intelligence artificielle (data centers) est égale au taux d’électricité consommée par 100 000 foyers. « Mais les plus gros centres en construction aujourd’hui consommeront 20 fois plus », précise l’étude.
L’IA efface-t-elle les artistes ?
La consommation en eau de l’IA générative est également alarmante : une question soulevée par Marine Tondelier dans son tweet : « Je préfère qu’il reste de l’eau et de l’art à nos enfants », déclare-t-elle. À ce sujet, l’AIE estime que d’ici 5 ans, les data centers, nécessaires au stockage des images générées, demanderont deux fois plus d’eau : de 600 milliards de m2 à 1 200 m2 d’eau.
Face à l’explosion de la tendance, de nombreux artistes et graphistes ont dénoncé un autre problème de l’IA générative : un outil disponible à tout le monde, effaçant complètement la fibre créatrice des professionnels et des artistes.
Le hashtag « StarterpackNoAI » a été créé pour contrer la tendance, grâce auquel les artistes, comme la bédéiste Pénélope Bagieu, postent leur starter pack dessiné par leurs soins. « Je préfère avoir la satisfaction de créer quelque chose moi-même », écrit la créatrice Daejee au-dessus du sien. « De l’art avec une âme véritable », déclare une autre. « Mon starter pack sans IA de merde », fustige encore une graphiste.
La tendance du starter pack relance le débat sur la cohabitation entre l’IA et l’art, questionnant l’effacement de l’imagination créatrice au profit de modèles uniformisés réalisés par un robot.
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