Aux États-Unis, depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, des bases de données précieuses sont en train de disparaître, des mots-clés sont interdits. Des universités ouvrent leurs portes aux chercheurs américains sous la menace de coupes budgétaires, candidats à l’exil et dont les domaines sont ciblés par la nouvelle administration américaine.
“Le financement sur un projet de “diversité” biologique d’un collègue a été bloqué”, bondit Corrine*, la soixantaine, professeure de biologie au Rensselaer Polytechnic Institute de New York, depuis qu’elle n’est plus chercheuse à Montpellier, il y a plus de dix ans. “Le mot “diversity” fait partie de la centaine de mots à bannir, si l’on veut voir son projet financé par le gouvernement fédéral”, soulève-t-elle, atterrée. “Pluralité” aurait peut-être fait l’affaire, mais depuis que l’IA s’est invitée dans la détection des contenus interdits par l’administration Trump pour tous les projets qu’elle finance, “climat”, “inclusion”, “genders”, “activism” ou “climat” sont devenus ces gros mots que tout chercheur doit gommer de ses travaux, s’il veut obtenir quelque crédit.
“Ce sont des dizaines de millions de dollars qui s’envolent”
Les coûts indirects (entretien, renouvellement des bâtiments et équipements de recherche) sont passés de 65 % à 15 %, estime-t-elle. “Ce sont des dizaines de millions de dollars qui s’envolent, surtout en médecine. On est en train de détruire le meilleur système au monde”, alerte celle qui est aussi membre du mouvement Indivisible, une organisation progressiste née en 2016 en réaction à l’élection de Donald Trump.
“C’est du jamais vu !”. Arrivées aux États-Unis sous la présidence de George W. Bush, Pauline* et son épouse Isabelle*, toutes deux binationales et scientifiques ont programmé leur retour à Montpellier après vingt-cinq ans à Boston, “on ne se reconnaît plus dans les valeurs”. Tout sauf ce “dictatorship”, s’insurge Pauline, 56 ans. “Déjà, le premier mandat était horrible”, se souvient Pauline, qui envisage de reprendre une pharmacie en France.
Des bases de données climatiques sont effacées, des pans entiers de la recherche sont jetés, des livres sont brûlés, il faut être à la hauteur de ce moment historique.
Isabelle sera en télétravail. Les fonds destinés à la recherche de la start-up spécialisés dans le développement de nouveaux médicaments pour laquelle elle travaille ont été “gelés”, après la “descente de quatre délégués au siège, débarqués en trottinette électrique”. 1,5 million de dollars s’envolent d’un trait de plume, “soit six mois de ressources”.
Un asile scientifique à Marseille, Toulouse
Dans ce contexte, un exode des scientifiques américains est à prévoir. Parmi les pays retenus, la France s’impose comme une destination de choix. Toulouse vient de mobiliser 6 M€, en écho au mouvement Stand Up for Science aux États-Unis et en France, pour défendre la liberté académique. À Aix Marseille Université (AMU), ce sont 15 M€ qui seront déployés grâce au label initiative d’excellence (IDEX) doté de 26 M€ par an, dans le cadre de son programme d’attractivité (Amidex). “Nous offrons un asile scientifique”, pose Eric Berton, président d’AMU.
L’établissement entend financer le travail d’une quinzaine d’universitaires dont les domaines sont “black-listés” par l’administration américaine, dont la médecine LGBT +, l’immunologie, la gestion des catastrophes naturelles, l’IA, la psychologie ou l’astrophysique, dans ses 120 unités de recherche.
“Notre programme Safe place for science mis en place le 6 mars dernier, dans l’urgence, a pour but d’offrir un environnement sûr aux scientifiques souhaitant poursuivre leurs recherches”, explique Eric Berton. Ils viennent de Yale, de Stanford ou de la Nasa : “On ne pouvait que réagir. Je ne sais pas si l’on se rend bien compte. Des bases de données climatiques sont effacées, des pans entiers de la recherche sont jetés, des livres sont brûlés, il faut être à la hauteur de ce moment historique. On est débordés. Nous en sommes à 50 candidatures traitées sur la centaine reçue. Je suis surpris, les niveaux sont extraordinaires. Comment un pays peut-il faire cela ?”, s’indigne le président, qui se défend d’agir par opportunisme, mais “par solidarité”.
Notre dossier sur Donald Trump et la science
Ce travail, mené conjointement avec la métropole, la CCI et la région, permettra de faciliter l’arrivée des scientifiques, “pour le logement, l’accès aux écoles, le transport, le visa, etc.”, à travers le programme Welcome to region Sud. “Nous en ferons de véritables enfants du pays !”, a d’ailleurs promis le président de la région Paca, Renaud Muselier.
L’AMU consacrera entre 600 000 € et 800 000 € par chercheur sur trois ans. Une dépense “enrichissante scientifiquement et culturellement. À terme, certains repartiront, d’autres resteront, mais nous avons voulu leur montrer qu’il y avait une lumière dans le sud de la France allumée pour eux. Il faut que ça nous dépasse, être au rendez-vous historique, que cela prenne une dimension européenne. On nous contacte via des messageries cryptées, parfois celle du conjoint pour ne pas être repéré. C’est inédit”.
*les prénoms ont été changés
Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’INRAE de Montpellier : “C’est gravissime”
“La remise en cause de la science est une menace qui nous touche tous. Les coupes budgétaires pourraient aussi s’intensifier en France et en Europe. “Le mot “agroécologie” a été effacé de la Loi d’orientation agricole, dans la version définitive du texte ! Pour l’instant, les budgets restent en place, mais dans un contexte de crise politique, la situation pourrait rapidement se détériorer.
L’extrême droite s’attaque aux fondements scientifiques, propageant des théories complotistes et niant l’impact de nos activités sur la biodiversité.
Les chercheurs étasuniens dans la peur, l’attente, le silence
J’ai reçu début février un e-mail de l’USDA Agriculture, avec qui nous collaborons sur le changement climatique. Le message était laconique et anonyme, annonçant le report d’un séminaire, sans explication ni signature. Ce climat d’incertitude est pernicieux. Les gels de crédits paralysent les équipes, et l’attente d’une éventuelle réattribution les poussent à la discrétion, au silence.Quand un chercheur m’a demandé s’il y avait des possibilités de venir en France, j’ai cru à une blague. Mais la question était sérieuse.Les conséquences de cette politique sont désastreuses. C’est l’arrêt brutal de nombreux programmes, la disparition de données cruciales sur le climat et des licenciements massifs. L’agence américaine chargée de la gestion des données climatiques a licencié 800 personnes.
La critique est positive !
Dans mon laboratoire, un doctorant devait partir aux États-Unis : son projet a été annulé. Plus largement, la moitié des données utilisées par nos chercheurs proviennent des États-Unis. Leur suppression limitera considérablement notre compréhension du climat et de ses évolutions. Nos travaux sur le stockage du carbone dans les sols et l’élévation du niveau de l’eau dépendent en grande partie des observations satellites américaines.Nous dépendons fortement des États-Unis pour l’accès aux données scientifiques. La recherche ne peut se faire en vase clos : elle nécessite des collaborations, des points de vue variés, des débats, la critique est positive en science ! Les défis environnementaux sont globaux, et la prévision comme l’adaptation aux changements climatiques doit être envisagée à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, 25 % des publications scientifiques sont américaines.”