L’un des députés les plus costauds de l’Assemblée nationale, tant par sa carrure massive que par sa grande connaissance du Parlement, a décidé de passer la main. André Chassaigne, figure centrale du PCF, connu pour ses bons mots, ses coups de gueule, sa moustache devenue blanche comme la neige, et sa défense acharnée de la justice sociale, des services publics, de la ruralité et de Cuba, quittera fin mars son siège au Palais Bourbon.
Mais n’allez pas croire que c’est une porte qui se ferme. « Il s’agit surtout d’en ouvrir une pour la suite. J’accorde une grande importance à la transmission. J’ai 74 ans, il est temps de laisser la place », mesure-t-il.
Vendredi 14 mars, le chef de file des députés communistes, président du groupe GDR depuis 2012, a été élu maire-adjoint dans sa commune auvergnate du Saint-Amand-Roche-Savine. « Je reprends le premier mandat que j’ai eu il y a des années, quand j’avais 27 ans. La boucle est bouclée ! », apprécie-t-il. Et quelle boucle. Lors des législatives de 2002, le PCF prend l’eau : il perd 14 sièges et n’en gagne qu’un seul. Qui peut bien enregistrer une telle conquête, à contre-courant de la dynamique nationale ? André Chassaigne.
L’ancien professeur de lettres et d’histoire géographie, devenu principal de collège et maire de sa ville, arrache la 5e circonscription du Puy-de-Dôme. « J’ai été candidat pendant 24 ans avant de gagner, en grappillant des points petit à petit », raconte l’élu, enraciné dans son territoire, et où Michel Charasse, ancien ministre de François Mitterrand, le qualifiait de véritable « service public à lui tout seul ».
« Dédé »
Après avoir usé quatre présidents de la République, douze premiers ministres, et sept présidents de l’Assemblée, celui que beaucoup surnomment « Dédé », aura donc toujours siégé dans l’opposition. « C’est facile de critiquer et de cogner. Et les gouvernements auxquels j’ai fait face le méritaient bien. Mais je me suis toujours méfié des critiques littéraires qui n’écrivent jamais de romans. J’ai donc sans cesse cherché à m’investir dans le corps-à-corps législatif avec cet objectif : être un député d’opposition sans concession, tout en étant capable de revenir en circonscription avec des amendements dans ma besace, pour l’intérêt général », témoigne-t-il.
À la stupeur générale, en 2008, André Chassaigne fait ainsi voter un amendement anti-OGM, qui provoque une crise au sein du gouvernement et de la majorité UMP de l’époque. « J’avais réussi à convaincre suffisamment de députés de droite de la nocivité du projet ! » se remémore-t-il.
Les caméras se braquent sur l’élu. Les troupes présidentielles déposent dans la foulée un amendement similaire, présenté par François Grosdidier, qui est adopté. Et pour calmer le jeu, sans perdre la face, le président Nicolas Sarkozy se déclare publiquement favorable à « l’amendement Chassaigne-Grosdidier ».
« Quand je suis retourné en circonscription, les gens m’ont félicité, puis certains m’ont dit, outrés, qu’ils étaient scandalisés que Sarkozy m’ait appelé ‘‘Chassaigne Gros Dédé’’ ! », rigole encore le député, qui prend la tête du groupe GDR en 2012. François Hollande succède alors à Sarkozy. Les citoyens attendent une politique de gauche. Il n’en sera rien.
« J’ai connu une bonne trentaine de 49.3 »
« Il existe en Auvergne des petites fenêtres dans nos fermes, que l’on appelle ‘‘fenestrou’’. Eh bien à trop vouloir l’emprunter, François Hollande s’est coincé dans le fenestrou de la droite et ne peut plus en sortir ! », lance en 2016 André Chassaigne, aussi bien ulcéré par le projet de déchéance de la nationalité, que par les lois Macron et El Khomri passées à coups de 49.3.
« J’en ai au final connu une bonne trentaine, et on s’y habitue jamais. Nous sommes arrivés à une situation où tout ce que la Ve République avait prévu pour que l’exécutif domine le législatif est utilisé sans aucune mesure, écrasant toujours plus la représentation nationale. C’est catastrophique pour la démocratie. J’avais qualifié le régime de « démocrature » sous le premier quinquennat de Macron. Le ‘‘triple coup de force’’, comme j’ai pu le dire contre la loi El Khomri ou sur les réformes des retraites, est permanent : coup de force contre l’opinion majoritaire des Français, coup de force contre les représentations syndicales, coup de force contre les parlementaires. Personne ne profite de ses assauts d’une violence inouïe du capital contre notre modèle social issu du programme du Conseil national de la résistance. Personne, à part les milliardaires et l’extrême droite », s’indigne le député sur le départ.
« Un internationaliste, un antiraciste, un grand défenseur des droits humains »
En 23 ans au Palais Bourbon, toujours en première ligne, « Dédé » aura mené bien des batailles. « C’est un monument de l’Assemblée, et en même temps c’est un militant. C’est ça qui est formidable. C’est un magnifique porteur de parole pour la ruralité. Un ami des outre-mer. Un internationaliste, un antiraciste, un grand défenseur des droits humains », souligne Huguette Bello, présidente du conseil régional de La Réunion, qui a longtemps siégé avec lui au Parlement.
J’avais des photos du Che dans ma chambre, et chez moi on ne buvait pas de Coca-Cola, et encore moins pendant la guerre du Vietnam.
André Chassaigne
Car communistes et élus progressistes ultramarins composent ensemble le groupe GDR. « C’est notre spécificité, c’est notre richesse. J’ai eu le bonheur de présider un groupe pour qui le soleil ne se couche jamais, où nous avons tous en commun de lutter pour qu’il n’y ait aucun sous-citoyen, aucun sous-territoire, et une égalité républicaine réelle, que ce soit à 10 heures d’avion de Paris dans les Outremers, à plusieurs heures de train et de voiture dans les territoires ruraux, ou à une heure de métro dans les banlieues populaires », relève André Chassaigne.
Figure très respectée, André Chassaigne l’est aussi de ceux qu’il combat. « Parce qu’il a acquis beaucoup d’expérience sur la défense et du rôle du Parlement, et parce que même quand il cogne dur, ses coups de gueule sont toujours argumentés et justifiés », observe Fabien Roussel, secrétaire national du PCF.
« Un hyperactif et boulimique de travail »
« On est nombreux à l’apprécier humainement, et à le trouver assez coriace, voire redoutable quand on le cherche. Mais on lui pardonne, sauf peut-être ses mots lors de l’Affaire Benalla », souffle un macroniste. En 2018, scandalisé par l’enterrement de la commission d’enquête dédiée à l’obscur collaborateur du président, André Chassaigne étrille la servilité des députés de la majorité, les qualifiant « d’intestins silencieux de la bouche élyséenne » : « vous avez prouvé que même sans colonne vertébrale il est possible de ramper ».
Stéphane Peu, pressenti pour reprendre la présidence du groupe GDR avec la coprésidente Emelyne K/Bidi, se souvient bien de ses premiers pas de député devant cette Macronie triomphante : « Nous étions dans le groupe presque tous des néodéputés. Seuls André Chassaigne et Marie-George Buffet avaient une expérience aguerrie du Parlement. Et nous avons été un peu désarçonnés par l’arrogance du nouveau monde, par ces jeunes macronistes vierges d’histoire et de culture politique, soumis au président et tout droit sortis de cabinets d’affaires. André, qui est un personnage hors normes, un hyperactif, un boulimique de travail, a été d’une aide précieuse pour nous accueillir au groupe et nous lancer sur le chemin de l’offensive ».
« Il nous a pris la main. À chaque fois que l’on pose une question au gouvernement, quand on arrive au micro juste devant lui. Il nous glisse cette boutade pour nous détendre et nous mobiliser : ‘‘Attention tout le parti te regarde, pose correctement ta question’’ », se souvient Fabien Roussel, qu’André Chassaigne avait d’ailleurs convaincu de se lancer, lors du congrès du PCF de 2018, afin d’en prendre la tête.
L’échec du Perchoir
L’autre caractéristique de « Dédé », c’est qu’il ne lâche rien. Engagé dans un long combat pour revaloriser les pensions de retraites agricoles, afin qu’aucune ne soit inférieure à 85 % du Smic, le député a dû affronter tous les mauvais coups possibles inventés par les gouvernements avant d’obtenir gain de cause, avec deux lois qui portent son nom, la deuxième étendant la première aux conjointes des exploitants agricoles.
« Au pouvoir, on aurait fait bien plus. Mais il faut savoir être utile en toutes circonstances, dans l’adversité ». C’est cette endurance, son aura et son expérience, qui l’ont amené à devenir en 2024 candidat du Nouveau Front populaire à la présidence de l’Assemblée.
« Si cela n’avait pas été lui, jamais un communiste ne se serait imposé comme candidat commun du NFP alors que nous étions le seul groupe à avoir perdu des sièges. Son autorité et sa personnalité lui ont permis de convaincre non seulement à gauche, mais au-delà. Il a reçu 207 voix lors du vote, contre 220 pour Yaël Braun-Pivet. Seulement 13 voix d’écart, alors que 17 ministres ont pris part au vote pour l’empêcher de gagner, se livrant en dépit de toutes les règles à un cumul des genres entre exécutif et législatif », signale Stéphane Peu.
« André Chassaigne aurait fait un formidable président de l’Assemblée », relève Huguette Bello, qui qualifie le groupe GDR de « pépinière à présidents », puisqu’en plus d’elle à La Réunion, bien d’autres anciens membres ont présidé ou président leur région : Alfred-Marie Jeanne en Martinique, Gabriel Servil en Guyane, et Moetai Brotherson en Polynésie.
« On m’a élevé dans l’idée du rejet de toutes les oppressions »
André Chassaigne n’est pas passé loin, lui aussi, du fauteuil principal d’une assemblée. Sans jamais y avoir pensé avant qu’une occasion historique ne se présente.
« Si c’était arrivé, j’aurais gardé les pieds sur terre. Mon père était ouvrier. J’ai grandi dans une cité Michelin. Quand il revenait de l’usine avec sa musette, mes frères l’ouvraient pour récupérer les résultats sportifs, et moi c’était pour voir s’il n’y avait pas des tracts des syndicats et du PCF. J’avais des photos du Che dans ma chambre, et chez moi on ne buvait pas de Coca-Cola, et encore moins pendant la guerre du Vietnam. On me disait qu’une bouteille vide, c’était une balle pour un petit vietnamien. On m’a élevé dans l’idée du rejet de toutes les oppressions ».
À la place du cola, ce sera donc un verre d’eau ou de vin, pour ce bon vivant, également sauveur de la fraise de veau. « Elle avait été interdite à la consommation. Elle fait pourtant partie d’un plat traditionnel de la montagne thiernoise, le moulet, en référence aux ouvriers à domicile », précise-t-il. Et parce qu’il y a « aussi bien des petits matins que des grands soirs », André Chassaigne a réussi à ce que la fraise de veau retourne dans les assiettes. Alors que la tête de veau est déjà mangée pour fêter tous les 21 janvier la mort de Louis XVI, qui sait si la fraise de veau, l’air de rien, n’a pas elle aussi un petit goût de révolution ?
« Avec la centaine de députés d’extrême droite à l’Assemblée, la révolution, ce n’est pas pour tout de suite, mesure tout de même le député. Le combat politique s’annonce toujours plus musclé. Mais je ne suis pas pessimiste. La gauche, si elle sait combattre frontalement la xénophobie et les inégalités, peut rassembler et renverser la vapeur. » Un combat qu’il n’entend pas abandonner, à son échelle, en plus de faire revivre au local l’ancien collège de Saint-Amand-Roche-Savine et faire restaurer son église.
« À l’Assemblée, mon suppléant, Julien Brugerolles, va prendre la suite. Il est très présent à mes côtés et sur le terrain depuis des années, on va simplement inverser les rôles. Je sais qu’il va très bien se débrouiller », indique Dédé, qui ne quittera pas Paris de si vite. « Maintenant qu’André va avoir plus de temps, nous allons pouvoir l’exploiter davantage au Conseil national du PCF, apprécie Fabien Roussel. Il y intervient régulièrement. Sa parole y est très importante. Il est très aguerri sur les questions internationales, particulièrement brûlantes en ce moment ! »
La dernière question au gouvernement d’André Chassaigne, prévue le 25 mars, ne signera donc pas son dernier acte politique. Bien au contraire. Comme dit la formule, militant un jour, militant toujours…
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