David Cayla est économiste, maître de conférences à l’université d’Angers et auteur du chapitre sur le protectionnisme dans l’ouvrage collectif « Penser l’alternative », paru en début d’année chez Fayard.
Quelle stratégie Donald Trump suit-il avec ses droits de douane ?
David Cayla
Économiste spécialiste du protectionnisme et maître de conférences à l’université d’Angers
Il faut d’abord se souvenir que Trump avait annoncé pendant la campagne présidentielle vouloir supprimer les impôts sur le revenu de ses concitoyens, pour les remplacer par les revenus tirés de l’augmentation des droits de douane. Son idée est de faire payer les pays étrangers pour améliorer le niveau de vie aux États-Unis. En tout cas, c’est ainsi qu’il le présente.
En outre, Stephen Miran, que Trump a nommé économiste en chef à la maison Blanche, a théorisé les droits de douane comme outils de diplomatie et de négociation. C’est par exemple un moyen de faire payer les alliés pour la protection militaire accordée par les États-Unis. Cela constitue une vraie rupture avec la vision du « nouvel ordre mondial » promue par Bush à la fin de la Guerre froide : cette idée d’une mondialisation heureuse où l’économique, le commerce en particulier, serait détaché du politique et du diplomatique et favoriserait la paix.
Cette stratégie politique a-t-elle des chances de produire les effets escomptés ?
Diplomatiquement, pour l’instant, force est de constater que cela produit des effets. En menaçant d’augmenter les droits de douane, la Maison blanche a déjà obtenu des concessions : avec le Mexique, le Canada… On remarque d’ailleurs que Donald Trump utilise l’arme commerciale au service du politique, mais aussi la diplomatie au bénéfice de l’économie, lorsqu’il veut s’emparer des ressources du sous-sol de l’Ukraine, ou des minerais du Groenland.
Mais que va-t-il se passer quand les autres ne céderont plus à son chantage ? Augmenteront-ils aussi leurs droits de douane ? D’autant plus que Trump s’en prend particulièrement aux alliés historiques des États-Unis, qu’il traite comme des adversaires. Il risque l’isolement.
Car augmenter les droits de douane n’aura pas seulement comme conséquence de faire payer les pays étrangers. La hausse de 50 % sur l’acier canadien va avoir des répercussions sur les coûts de production et la compétitivité de l’industrie états-unienne. Et, de manière générale, les barrières douanières risquent d’entraîner une inflation importante qui va peser lourdement sur le pouvoir d’achat des consommateurs outre-Atlantique. Si l’Europe faisait la même chose que Trump, je ne pense pas que les États-Unis y gagneraient, au final.
Justement, que pensez-vous de la réaction européenne ?
Qu’elle n’est que cela malheureusement : une réaction. L’Europe est incapable de répondre à Trump par une logique symétrique. Elle ne fait que se défendre. L’Union européenne reste sur son vieux logiciel très libre-échangiste, avec la multiplication des traités de libre-échange et la baisse des droits de douane qui va avec. Une politique qui nous rend dépendants des exportations : c’est ce qui inquiète les vignerons français, menacés de surenchère douanière par Trump, mais aussi et surtout l’industrie allemande très spécialisée.
Pire, avec l’Union des marchés de capitaux qui est en cours, on va vers la suppression des réglementations nationales en matière d’épargne et d’investissement. Nous allons encore nous enlever des moyens d’agir politiquement. Il faudrait plutôt suivre une stratégie d’augmentation des dépenses publiques, pour financer de l’investissement en Europe. Cela nous profiterait et ce serait le meilleur moyen de nous défendre face aux États-Unis. Ceux-ci ont besoin de notre argent, de celui des consommateurs européens, car ils ont un déficit extérieur extrêmement élevé. L’UE est la zone économique qui finance le plus l’économie américaine.
En ce moment, des discussions ont lieu à Bruxelles au sujet d’investissements massifs dans la défense. Pourquoi pas, mais on pourrait penser à d’autres projets plus utiles pour les ménages : des lignes de trains à grande vitesse partout en Europe par exemple. Il faut utiliser l’argent des Européens en Europe. Ce serait alors un effet positif de la politique de Trump à long terme : elle pourrait amener les autres pays victimes de cette stratégie américaine à recentrer leurs économies sur leurs marchés proches, au moins à échelle continentale. À être moins dépendant de leurs exportations, bref à regagner en souveraineté. Je ne dis pas qu’il faut imiter les États-Unis, mais qu’il faut se saisir de cette occasion pour réinterroger en profondeur notre modèle économique, notre politique commerciale et industrielle.
Concrètement que pourrait, ou devrait faire, l’Europe ?
Il faudrait répondre à ces hausses de tarifs douaniers par une politique industrielle qui permette un regain de souveraineté. Dans le rapport Draghi, souvent cité, qui suggère que l’Union devrait consacrer annuellement 750 à 800 milliards d’euros supplémentaires au soutien à l’investissement, en particulier dans le numérique, il manque cette logique de souveraineté ou de protectionnisme. Par exemple, on pourrait dire qu’on abandonne Microsoft et les autres GAFAM dans les administrations publiques pour n’utiliser que du logiciel libre. La subvention est un outil, mais il y en a d’autres : l’interdiction, la réglementation…
Effectivement, nous avons du retard sur le numérique. Mais pourquoi ne pas faire comme la Chine et interdire certaines plateformes qu’on juge illégales pour développer les nôtres ? Ou imposer, vraiment, des réglementations contraignantes et beaucoup plus ambitieuses sur les données, par exemple. Car les États-Unis nous font payer très très cher l’usage de leurs outils numériques. Trump exploite nos faiblesses et il en profitera jusqu’à ce qu’on regagne en indépendance, en capacité industrielle, que nous aussi, associons politique et économie, commerce et diplomatie. Ce qui a toujours été le cas dans l’histoire.
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