La Fédération syndicale unitaire (FSU) a changé d’incarnation, lors de son 11e congrès national, du 3 au 7 février. Caroline Chevé a pris la relève de Benoît Teste. Enseignante dans les quartiers nord de Marseille, la nouvelle secrétaire générale de la FSU dirigeait jusque-là la section départementale des Bouches-du-Rhône. « Son expérience dans ce département incarne l’orientation de la FSU de faire converger différents syndicats, métiers, dans les territoires », souligne son prédécesseur. De son côté, Benoît Teste, en poste entre 2019 et 2025, compte à son actif la large mobilisation de l’intersyndicale contre la réforme des retraites. C’est aussi sous sa direction que la FSU, jusque-là largement implantée dans l’éducation nationale, est devenue représentative dans la fonction publique territoriale.
Vous avez pris la tête de la FSU. Votre centrale, comme la CFDT, la CGT et Solidaires sont dirigées par des femmes. Pour autant, le « plancher collant » qui empêche les femmes d’accéder aux responsabilités est-il dépassé dans les syndicats ?
Indéniablement, des efforts restent à faire. Nous héritons d’un modèle militant historiquement très masculin. Cela reste sédimenté dans nos pratiques syndicales : des réunions tard le soir, la capacité à s’exprimer sans s’interroger sur sa légitimité, mais aussi sur la répartition des tâches militantes. Cependant, à la FSU les évolutions sont encourageantes. Je pense à la prise en charge des frais de garde d’enfants, au partage du temps de parole ou à la cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).
L’image du soldat militant est inhérente au syndicalisme de combat. Doit-elle être dépassée ?
Les luttes n’exigent pas un modèle militaire, mais des organisations fortes et des militants qui prennent soin les uns des autres. C’est comme cela que nous pourrons avancer sur les luttes contre les discriminations et les VSS. Par ailleurs, le 8 mars, nous inscrivons la question sociale au cœur du combat féministe. L’égalité salariale est une priorité. À travail de valeur égale, salaire égal. Dans les métiers fortement féminisés, ceux du soin et du lien, de la petite enfance ou du troisième âge, on constate qu’avec un niveau de responsabilité égal ces professions sont moins bien payées que les métiers très masculins.
Professeur de philosophie dans les quartiers nord de Marseille, vous vous présentez comme issue du « noyau dur de l’éducation prioritaire ». Est-ce un atout à l’heure de l’affaissement de l’égalité républicaine à l’école ?
Pour moi, cela implique que ce dossier doit être ouvert en permanence. L’éducation nationale a pris un retard énorme. La réforme des collèges de 2016 induisait une reprise régulière de la carte de l’éducation prioritaire. Cela n’a pas été suivi d’effets, alors que sur le terrain, des établissements se retrouvent en situation de décrochage. C’est donc une préoccupation chevillée au corps. J’ai conscience de la réalité quotidienne de ces élèves, de la jeunesse, qui sont souvent des quartiers populaires, mais aussi des zones rurales.
C’est-à-dire ?
Les quartiers nord de Marseille sont marqués par une très grande pauvreté économique. Cela s’ajoute aux difficultés persistantes des familles monoparentales. L’habitat social est par endroits honteux. Les transports collectifs sont éloignés. La vie des élèves est aussi imprégnée par l’insécurité, ce qui contribue à leur isolement. Mais on constate une forte détermination à réussir à l’école. Malgré cela, il n’est pas rare d’avoir en classe de terminale des élèves qui travaillent, les soirs, les week-ends, en plus de leurs journées de cours. Ainsi, j’ai déjà enseigné à des élèves employés au McDonald’s ou faisant des ménages.
D’où tirez-vous votre engagement syndical ?
Je viens d’une famille où le militantisme syndical et politique existe, sans être omniprésent. Mon grand-père était responsable CGT sur Marseille. Un oncle était maire sur une liste « union de la gauche ». Paradoxalement, mon parcours de lycéenne et d’étudiante est marqué par l’absence de cette rencontre avec le militantisme. En 1999, dès l’obtention de mon concours, je me suis syndiquée. Je voulais être utile. Je fais partie de la génération d’élus des personnels qui a connu la mise en place des CHSCT dans l’éducation nationale. Cela m’a marqué.
D’abord dans le travail militant, à cause de la dimension de prévention auprès de nos collègues. Ce qui implique un échange très approfondi avec l’administration. J’ai pu toucher des détails très fins de la réalité des gestes au travail d’un professeur, d’un CPE… C’est une responsabilité très exigeante intellectuellement. Et puis, en 2011, est arrivée la réforme de la voie technologique et industrielle. Cela a été une période très violente pour les personnels. Dans l’académie d’Aix-Marseille, nous avons conduit une enquête du CHSCT. Nous avons affronté le suicide au travail d’un collègue. C’est une épreuve terrible, où l’on touche à ce qu’il y a de plus sensible et où la rigueur déontologique est de mise.
Jusque-là, vous étiez à la tête de l’importante section départementale des Bouches-du-Rhône. Est-ce un atout pour faire vivre le fédéralisme à la FSU ?
Cette expérience m’a amené à faire travailler ensemble des camarades issus de divers métiers, mais qui n’avaient pas l’habitude d’agir en commun. Cette responsabilité m’a permis de me faire une idée de la diversité de la FSU : pour faire vivre le fédéralisme, il faut travailler concrètement ensemble sur les dossiers. La FSU syndique majoritairement des personnels de l’éducation, mais il faut toujours veiller à faire leur place à tous : les agents de la territoriale, et des autres ministères de l’État.
Souscrivez-vous à la thèse du déficit caché des fonctionnaires reprise par François Bayrou ?
Évidemment que non. Les retraites des fonctionnaires relèvent du budget de l’État et pas d’une caisse à part qui serait en déficit. C’est un sophisme du premier ministre à déconstruire. Nous serons vigilants aux coups portés contre les fonctionnaires suite à la remise du rapport de la Cour des comptes sur l’état des finances des retraites. Il persiste un discours sous-jacent à l’encontre des agents, qui se renforce. Or nous tenons à bout de bras les services publics. Pour autant, les luttes de 2023 pèsent encore aujourd’hui, puisque le gouvernement est toujours empêtré dans le dossier des retraites.
Le conclave décrété par François Bayrou, deux ans après la réforme de 2023, en est-il l’illustration ?
Oui et nous sommes déterminés à obtenir l’abrogation de cette réforme. Se posera ensuite la question des mesures paramétriques. Dans ce contexte, il ne serait pas tolérable que les retraites des fonctionnaires soient la déclinaison de discussions entre partenaires sociaux du privé. Pour l’heure, la FSU n’est pas incluse dans ce tour de table. Ce n’est pas acceptable, nous demandons à être pleinement associés. Les retraites relèvent du choix de société, de la solidarité intergénérationnelle, tout comme celle du monde du travail. Les fonctionnaires doivent avoir leur mot à dire. De plus, la FSU sera vigilante sur les possibles attaques contre la Sécurité sociale. En 2025 il ne s’agira pas seulement de célébrer ses 80 ans mais bien de la défendre. Nous demandons le remboursement à 100 % des soins prescrits, ce n’est pas une lubie ou un slogan. La socialisation des risques est un élément constitutif de notre contrat social.
La mobilisation du 5 décembre, dopée par les provocations de l’ex-ministre Guillaume Kasbarian (Fonction publique – NDLR), a été un succès. Pour autant, les précédents « ballons d’essai » pour peser sur des négociations dans la fonction publique ont été en demi-teinte. La grève est-elle encore un outil syndical efficace ?
La grève est un levier central dans un rapport de force. Mais il ne suffit pas de la décréter pour qu’elle soit une réussite. Quand la grève est majoritaire, elle produit des avancées. Notre appel du 5 décembre l’a justement été, notamment dans l’éducation. Cet enseignement est valable aussi pour la mobilisation de 2023 sur les retraites. Les grèves n’ont pas été suffisamment nombreuses pour abroger la réforme. Mais elles font toujours des retraites un des thèmes clefs du débat public. Cela nous oblige donc à réussir encore mieux nos grèves, et notamment en renforçant notre ancrage syndical. En ce qui concerne la FSU, la présence de nos militants sur les lieux de travail est irremplaçable. Nos responsables sont attachés à garder un lien avec leur métier, en continuant à exercer, ou bien en veillant à ne pas cumuler trop longtemps les mandats syndicaux, pour ne pas éloigner l’organisation syndicale des agents.
Quelles sont les conditions de réussite d’une grève ?
Prenons celle du 5 décembre. D’abord, elle s’est construite de manière quasi unitaire (seule FO ne s’est pas inscrite dans une dynamique de l’intersyndicale de la fonction publique – NDLR). C’est une attente forte des agents. Par ailleurs, cette journée a été annoncée suffisamment à l’avance pour que l’on puisse effectuer un travail de conviction auprès des fonctionnaires. Enfin, l’insultante proposition des trois jours de carence en cas d’arrêt maladie a fait figure d’un chiffon rouge. Mais il ne faut pas oublier les enjeux salariaux, de condition de travail et de défense du statut, en lame de fond de cette colère qui s’est exprimée.
À l’issue de son congrès, la FSU plaide pour une « maison commune » avec la CGT. Depuis 2023, vos deux organisations ont engagé un travail de rapprochement. Quelles sont vos ambitions ?
La FSU ne s’est jamais satisfaite de la division syndicale. Nous avons toujours considéré que le syndicalisme devait se transformer. Cela s’est matérialisé par notre proposition de nouvel outil syndical, adressée à la CGT et à Solidaires, mais sans exclusivité de toute organisation disponible pour une démarche unitaire. Nous souhaitons créer des dynamiques pour renforcer le syndicalisme. Suite au congrès confédéral de la CGT de 2023, nous avons lancé des cycles de discussions très constructifs. La CGT et la FSU peuvent s’appuyer sur une unité d’action ancienne. Nous cherchons à approfondir nos connaissances mutuelles et les espaces pour agir ensemble. Cela se traduit par le développement de formations communes. Mais aussi des initiatives publiques et du travail sur le revendicatif. Ainsi, nos deux instituts de recherche construisent, pour octobre, un colloque sur l’école et l’extrême droite.
Jusqu’où peut aboutir ce rapprochement ?
Il ne s’agit pas de faire du Meccano syndical, une démarche d’appareils. Le travail sur le terrain sera primordial, pour impliquer l’ensemble de nos militants. La FSU n’est pas dans une logique de fusion-absorption par la CGT. Bien sûr, il demeure une asymétrie de taille entre nos deux organisations. Au sein de la FSU, les sensibilités et la conception de ce rapprochement peuvent être différentes selon les secteurs. Notre rôle de direction est de parvenir à une synthèse pour rassembler largement notre organisation et notre proposition de « maison commune » s’inscrit dans cette démarche.
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