« J’ai vraiment bien fait de venir » souffle Grace*, lunettes sur le nez, fixant la façade grandiose de la Maison d’Éducation, un collège et pensionnat pour filles de la Légion d’Honneur, situé à Saint-Germain-en-Laye. La quarantenaire avait pourtant longtemps hésité à mener la grève. « J’avais peur des conséquences » explique-t-elle. D’autant que Grace travaille depuis le mois de mai seulement dans cet établissement prestigieux. Mais à 10 h 49, ce vendredi 14 février, beaucoup de ses craintes ont disparu. La grève, commencée depuis 6 heures le matin, est terminée.
Et pour cause. « On a gagné » embrayent en levant les bras ses collègues. Les sept personnes – six femmes et un homme – sont engagées par la société de sous-traitance L’Audacieuse. Et seule une personne, qui a rejoint son poste il y a peu longtemps, n’a pas fait grève. L’entreprise est devenue le prestataire du collège en mai 2023. D’autres personnes font le ménage. Mais elles sont, elles, engagées directement par l’école, donc bénéficient des vacances scolaires.
Cinq jours de congés payés pendant les vacances scolaires
L’équipe de huit personnes au total nettoie, quant à elle, les sanitaires, gymnases, classes, dortoirs, des jeunes filles descendantes de personnes qui ont reçu la Légion d’Honneur. Des personnes comme Agnès Buzyn, ex-ministre de la santé mise en examen, ou encore Gérard Collomb, ancien ministre de l’Intérieur se sont ainsi vus décerner ce prix censé représenter l’élite de la nation.
Mais cette fois-ci, l’équipe de nettoyage sous-traitée et payée au SMIC – environ 1 426 euros – a débarqué, drapeaux CGT aux mains sur le parking de l’école. Et grâce à cette mobilisation, une première bataille a été remportée. Les femmes de ménage – dont un homme – bénéficieront de vacances scolaires pendant cinq jours – du jeudi 20 février au mercredi 26 février – ainsi que pendant les vacances de Pâques. En d’autres termes, les grévistes ont obtenu cinq jours de congés payés pendant les vacances scolaires.
Avant cette avancée, l’entreprise avait l’intention de leur retirer de l’argent de leur salaire en leur faisant prendre des congés sans solde ou bien de les faire travailler dans d’autres lieux dans la capitale, à plus d’une heure de voiture.
« Le Doliprane, c’est notre quotidien »
Une situation d’autant plus difficile que, depuis que c’est l’Audacieuse qui a repris le flambeau, de nouvelles tâches leur sont incombées. Alors qu’avec la société précédente, les bacs à serviettes hygiénique étaient vidés par une société spécialisée, ce n’est plus le cas. « Il faut vider la poubelle, et nettoyer le sang qui reste » explique Efigenia*, habillée en survêtement rose et parée de boucles d’oreilles blanches. Et cette mission est particulièrement difficile pour la cheffe d’équipe de 38 ans, qui explique avoir dans ces cas-là « la nausée pendant une demi-journée ».
Autant de revendications qui viennent mettre en lumière des conditions de travail globalement épuisantes. Sur le parking, après avoir distribué des tracts aux professeurs qui entrent en voiture dans l’enceinte du collège, Grace énumère les tâches éreintantes. Elle liste les lourdes tables anciennes à soulever dans les classes, mais aussi les deux dortoirs à nettoyer par jour. Chacun contient 11 douches et 10 toilettes, explique-t-elle.
La gréviste consulte, outrée, une photo qu’elle avait prise un jour. Sur l’image, apparaissent des toilettes remplies de matière fécale. « C’est un manque d’éducation », souffle-t-elle. « Et encore, c’est déjà arrivé qu’il y en ait sur le mur… » poursuit-elle, en indiquant que, dans les douches, les cheveux se ramassent par poignée. « On doit se baisser et frotter » explique la quarantenaire. « Et il faut faire attention à ne pas laisser un seul cheveu qui traîne » poursuit-elle.
De durs travaux qui ruinent la santé. « Le Doliprane, c’est notre quotidien » explique celle qui se fait appeler Madame Trabi. « Le soir quand je rentre je ne sens plus mes bras » poursuit celle qui va bientôt avoir 50 ans, originaire de Côte d’Ivoire. Si elle n’a pas hésité à se lancer dans la grève, elle n’a pas obtenu les soutiens escomptés.
Lorsqu’elle a annoncé sa syndicalisation à l’Union Locale de la CGT, à sa fille de trente ans, patronne d’un restaurant, celle-ci lui a rétorqué « Vous adorez emmerder les patrons ». Mais Madame Trabi n’est pas vexée. Elle lance, impuissante : « De toute façon, tant qu’on ne fait pas le ménage, on ne peut pas savoir ».
*Seuls les prénoms sont indiqués à la demande des concernées
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