L’hégémonie de la FNSEA et des JA (Jeunes agriculteurs) touche-t-elle à sa fin ? À l’issue des élections aux chambres d’agriculture conduites du 15 au 31 janvier, le duo de syndicats historiquement majoritaires est passé sous la barre des 50 % des voix exprimées pour la toute première fois. Le franchissement d’un seuil symbolique pour ces deux organisations souvent taxées de cogestion.
« La colère qui s’est exprimée n’est pas retombée et les agriculteurs ont le sentiment que les réponses apportées ne sont pas à la hauteur des attentes », a analysé Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, attribuant sa déconvenue électorale à une année rude sur le plan climatique et à l’instabilité politique.
La victoire d’un vote « dégagiste »
Ce recul inédit du duo FNSEA/JA, militant pour une agriculture intensive et industrielle, a principalement profité à la Coordination rurale (CR). Au-devant de la scène médiatique lors des épisodes de colère agricole depuis plus d’un an, le très droitier syndicat a remporté l’élection dans 14 chambres, contre seulement trois en 2019.
« Les agriculteurs ont dit stop à la cogestion, responsable de la disparition d’un million de vaches et de 150 000 fermes en dix ans. Le changement de modèle est en marche », a réagi dans un communiqué l’organisation aux bonnets jaunes. La CR avait appelé à un vote « dégagiste » contre la coalition dominante. Le credo semble avoir séduit nombre d’agriculteurs, mais peine à laisser entrevoir un changement radical du modèle agricole.
« La CR a instrumentalisé la crise et la colère des paysans en créant des boucs émissaires, sans proposition concrète d’accompagnement et alternative au modèle depuis toujours poussé par la FNSEA », a réagi Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne (CP), faisant notamment référence aux nombreuses attaques de l’organisation contre l’Office français de la biodiversité (OFB).
Une analyse partagée par le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef). « La CR a gagné ces chambres sans aucun programme, sauf celui de la stigmatisation de la protection sanitaire, sociale et environnementale », estime son coprésident Frédéric Mazer. Le petit syndicat, porteur d’un modèle paysan et antilibéral, a accusé un sévère revers lors des élections, perdant des voix et des élus. Les résultats de la chambre guadeloupéenne, présidée par le Modef, n’étaient pas encore connus ce dimanche 9 février. « On est très déçus, c’est une douche froide », regrette le syndicaliste.
La FNSEA et les JA gardent la main sur 80 chambres d’agriculture
L’ensemble des syndicats progressistes n’est toutefois pas à la peine. La CP se félicite de son côté d’avoir amélioré son nombre de voix dans la moitié des départements et d’avoir significativement progressé dans 12 d’entre eux. Le syndicat, porteur d’une agriculture durable et paysanne, a remporté les chambres de la Guyane, de la Corse et de l’Ardèche, il conserve celle de Mayotte, dont le scrutin a été repoussé d’un an en raison du cyclone Chido. « Un agriculteur sur cinq s’est exprimé pour ce projet syndical d’accompagnement, et le seul projet alternatif du rouleau compresseur du modèle industriel porté par les autres syndicats », a proclamé Laurence Marandola.
Le tandem FNSEA/JA a également été bousculé dans deux départements par des listes indépendantes. En Haute-Garonne, c’est celle soutenue par Jérôme Bayle, figure des premiers actes de mobilisation des agriculteurs à la fin de l’année 2023, qui est parvenue à obtenir le plus de voix.
Malgré leur dévissage, la FNSEA et les JA parviennent à garder la main sur 80 chambres d’agriculture. Le mode de scrutin octroie en effet d’office la moitié des sièges à la liste arrivée en tête et répartit le reste à la proportionnelle. Ainsi, en Isère, bien que la FNSEA/JA ne devance la Confédération paysanne que d’environ 5 points (38,7 % des voix contre 33 %), le duo rafle 12 des 18 sièges du collège des chefs d’exploitation. Un mode de scrutin régulièrement décrié par les autres forces syndicales, qui dénoncent un système façonné pour maintenir l’hégémonie des principales organisations. La CP a par ailleurs annoncé avoir décelé des irrégularités dans la tenue des élections, déplorant que le matériel ne vote n’ait pas été reçu en temps et en heure par tous les électeurs.
En plus des chefs d’exploitation, les salariés de la production et des groupements agricoles, qui sont également amenés à siéger aux chambres d’agriculture, se sont également prononcés dans les urnes. La CFDT a été placée largement en tête, malgré une très forte abstention. Hormis en Corse, le taux de participation des salariés de la production agricole n’a pas dépassé les 16 %.
Avant de partir, une dernière chose…
Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :
nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.
L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.Je veux en savoir plus