Il y a des fruits qui périment plus vite que d’autres. Pommes, poires, bananes… Ceux obtenus par l’union de la gauche, au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, en sont-ils aussi ? « Nous pouvons éviter le piège qui nous est tendu, proclamait le texte de fondation du Nouveau Front populaire (NFP). Nous ne voulons plus de la politique de casse sociale et anti-écologique d’Emmanuel Macron qui porte la responsabilité d’avoir mené l’extrême droite aux portes du pouvoir. Un autre chemin est possible. »
Huit mois plus tard, le bloc de gauche, arrivé en tête des dernières élections législatives grâce à son unité, apparaît plus disloqué que jamais. La faute aux divergences stratégiques face au traquenard tendu par le premier ministre sur le budget de l’État comme de la Sécurité sociale.
Les socialistes plaident la connexion « aux territoires »
Pour éviter la censure, donc la chute, il fallait à François Bayrou obtenir la tolérance d’une partie du NFP. Dans ce sens, le premier ministre comme l’ensemble de ses troupes ont savamment choisi la carte à jouer, en particulier à l’adresse des socialistes : le chantage à la « responsabilité », que ce soit face aux attentes des Français comme aux risques d’un pays sans budget. « Le budget n’est le budget idéal d’aucun groupe, mais il est idéal que la France ait un budget, tonnait David Amiel, député macroniste, lundi 3 février. Nous ne pouvons pas faire la sourde oreille à cette envie qui vient de tout le pays. »
« Pour la première fois depuis la fondation de la Ve République, notre pays est toujours sans budget au mois de février et l’action publique en est victime, avertissait de son côté François Bayrou. Sans budget, nous serions incapables de faire face au besoin de recrutement de magistrats et la production serait paralysée dans de nombreux domaines. » L’apocalypse, en somme.
Ce refrain, déjà entonné par Michel Barnier, son prédécesseur, aurait pu s’éteindre de lui-même, contredit par la fermeté et les priorités fondatrices du NFP. Défense du pouvoir d’achat, des salaires, promotion des services publics « partout », égalité sociale et territoriale, défense du climat et du vivant… Il n’en a rien été.
Le NFP a échoué à préserver son unité. « La question qui se pose maintenant, c’est : que se passe-t-il si demain il n’y a pas de budget ? s’est interrogé Olivier Faure, ce mardi, à l’antenne de France Inter. Est-ce être de gauche que de priver les agriculteurs, les salariés, les collectivités locales, les associations d’un budget dont elles ont besoin ? » Une « trahison » pour les insoumis, une déception pour les autres.
La veille, dans un entretien accordé à l’Humanité, Arthur Delaporte, député PS du Calvados, justifiait pour sa part cette position par une connexion aux « territoires » et aux « acteurs économiques, associatifs, institutionnels » : « Nous savons que c’est un mauvais budget mais il vaut mieux un mauvais budget infléchi par les socialistes que pas de budget du tout. » Mais l’a-t-il au moins seulement été ? Pas vraiment, à en croire le reste du NFP.
Un budget plus austéritaire que celui de Michel Barnier
« C’est le budget le plus austéritaire depuis 25 ans, se désole Éric Coquerel, président FI de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Par exemple, les socialistes se satisfont d’avoir réussi à préserver 4 000 emplois d’enseignants. Mais dans le même temps, l’Éducation nationale se voit imposer une baisse de son budget de 225 millions d’euros. Même chose pour les jours de carence des fonctionnaires qui sont conservés certes, mais au même moment, les plans de l’exécutif prévoient de baisser les indemnités maladies de 10 % pour un gain sur le dos de tous de 900 millions d’euros. »
Selon son chiffrage, en une seule année, les recettes de l’État baissent de 6,2 milliards tandis que les dépenses chutent de 6,4 milliards. Ce qui fait dire à Stéphane Peu, député PCF de Seine-Saint-Denis, que « ce budget est pire que celui de son prédécesseur ». D’où son incompréhension : « Comment peut-on censurer le budget de Michel Barnier et pas celui de François Bayrou ? Qu’est-ce qui justifie un changement d’attitude ? »
D’autant que, selon lui, s’il faut bien un budget, il ne faut « surtout pas n’importe lequel ». « Le budget, c’est le texte le plus politique qui soit, poursuit-il. Il traduit la politique qui sera menée par des choix budgétaires. Dans le cas de ce texte, il creuse les injustices. Tout ce que les urnes ont rejeté le 7 juillet dernier. »
Mais quid des « attentes des Français » ? Selon un sondage Harris Interactive pour LCI paru le 31 janvier, et depuis très régulièrement brandi par les macronistes, 54 % de la population seraient opposés à une censure du gouvernement pour permettre l’adoption du projet de loi de finances (PLF).
« Ma seule boussole, ce sont les gens de ma circonscription, justifie dans ce sens Joël Aviragnet, député PS de Haute-Garonne. J’ai été outré par les propos du premier ministre sur une prétendue submersion migratoire, mais personne ne m’en parle sur le terrain. Alors que l’on me demande chaque jour des nouvelles du PLF et du PLFSS (projet de loi de financement de la Sécurité sociale – NDLR). Parce que cela signifie que l’école ne fermera pas et que l’hôpital du coin continuera à fonctionner. »
« Ne jamais renoncer à convaincre »
« Les gens veulent que l’école enseigne et que la santé soigne, c’est une évidence, et c’est le rôle de bons budgets que de le garantir, observe pour sa part Alexis Corbière, député de l’Après (Association pour une République écologique et sociale) et membre du groupe Écologiste et social. Mais il ne faut pas que nos camarades oublient qu’une personne qui s’inquiète aujourd’hui de l’absence de budget peut aussi, demain, subir les conséquences d’un budget austéritaire. C’est un message que la gauche doit porter sans rougir. On ne doit jamais renoncer à convaincre. »
Pour l’ancien insoumis, « la réalité du pays, c’est une situation catastrophique du point de vue des inégalités et de l’affaiblissement des services publics », et les projets gouvernementaux « ne corrigent rien de cela ». « Si on laisse passer un mauvais budget, les conséquences seront terribles, poursuit-il. La politique, ce n’est pas que répondre à l’instant présent, c’est aussi se projeter. »
L’ensemble du NFP, en dehors des socialistes, est donc convaincu qu’il n’y a qu’une seule réponse à apporter à ces deux textes : renverser l’exécutif. Autant pour contrer le projet de société qu’il porte que pour refuser un énième déni démocratique. « Sous la pression d’une droite dure et des ultra-riches, les choix définitifs du gouvernement n’ont tenu aucun compte de nos propositions pour rendre le PLF et le PLFSS acceptables. Il a préféré faire le choix répétitif du 49.3 qui nous empêche de voter contre ces budgets qui vont faire très mal à la population sur logement, l’éducation, la redistribution, l’écologie, la santé, dénonce le chef de file des députés PCF, André Chassaigne. Il ne nous reste donc qu’un seul mode d’expression : le vote de la censure. »
Reste que la chute du gouvernement ne pourra être obtenue sans les voix de l’extrême droite. À l’heure où nous écrivions ces lignes, le RN et ses alliés ne semblaient pas décidés à voter en ce sens. Une annonce officielle doit intervenir ce mercredi 5 février.
Le spectre d’une France sans budget
« Le gouvernement de Bayrou comme, précédemment, celui de Barnier, se retrouve sur cette même volonté de ne pas tenir compte de l’expression des urnes, complète Stéphane Peu. Une majorité d’électeurs se sont soulevés contre les cadeaux faits aux plus riches, aux aides aux entreprises sans condition, aux services publics affaiblis… Ces budgets nient ce vote qui devrait amener à une inflexion de la politique menée. Nous ne pouvons rester sans réaction. »
Et c’est justement le parachèvement ou non du déni démocratique en cours depuis les dernières législatives qui se joue ce mercredi. D’autant que, contrairement à ce que répète le camp gouvernemental, une censure du gouvernement ne condamnera pas le pays à vivre sans budget. « La loi spéciale en vigueur depuis le 1er janvier 2025 permet déjà au pays d’avoir un budget, relève Éric Coquerel. Par cette loi, qui nous permet de repartir avec le même budget qu’en 2024, l’État peut lever l’impôt, payer les fonctionnaires, investir sur le modèle de ce qui a été fait en 2024. On peut très bien passer l’année avec cette loi spéciale. Cela garantirait même un meilleur budget que celui de François Bayrou. »
Le journal des intelligences libres
« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »Tel était « Notre but », comme l’écrivait Jean Jaurès dans le premier éditorial de l’Humanité.120 ans plus tard, il n’a pas changé. Grâce à vous. Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.Je veux en savoir plus !