Le tapis a été déroulé quelques heures plus tôt par ses ministres de l’Intérieur et de la Justice, le duo autoritaire composé de Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, respectivement présents sur Europe 1, en fin d’après-midi, et sur TF1, pour le 20 heures. Le Premier ministre, François Bayrou, n’a eu besoin que de l’emprunter à grands pas, dans la soirée du lundi 27 janvier.
Invité à s’exprimer sur le plateau de LCI, le centriste a plongé dans une rhétorique très droitière, avec en point d’orgue une allusion à la théorie chère à l’extrême droite d’un pseudo-grand remplacement en « approche » – ici euphémisé en un « sentiment de submersion ». Tout en estimant que « l’immigration » ne peut pas être « un sujet de référendum », François Bayrou a expliqué que, « dès l’instant que vous avez le sentiment d’une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, les modes de vie ou la culture, dès cet instant-là, vous avez rejet ».
« À condition qu’ils ne dépassent pas une proportion »
Un discours réactionnaire qui a suivi de précédents propos dans la même veine : « Je pense que les apports étrangers sont positifs pour un peuple, à condition qu’ils ne dépassent pas une proportion. » Pour le chef du gouvernement, ce seuil n’est pas encore dépassé, mais « on approche » et, « en tout cas, c’est dans cette zone qu’on se trouve », sachant qu’un « certain nombre de villes ou de régions sont (déjà) dans ce sentiment-là ».
Des propos « extrêmement choquants » pour le coordinateur national de la France insoumise, Manuel Bompard. Le député de gauche a ainsi rappelé, lui aussi sur LCI, que la vision véhiculée par le Premier ministre « ne correspond pas du tout à la réalité », alors que les étrangers ne représentent que 7,7 % de la population en France, selon les estimations de l’Insee. « Ce dont souffre notre pays, ce n’est pas de submersion migratoire. C’est d’une submersion de racisme méthodiquement entretenue par le gouvernement qui n’est là que par la grâce du front républicain ! Honte », a également répliqué sur X le sénateur et porte-parole du PCF Ian Brossat.
« C’est honteux, ça m’a extrêmement choqué qu’un premier ministre utilise le terme de ”submersion migratoire”, vienne l’accréditer, perpétue cette idée fausse. (…) Pour flatter l’extrême droite, on reprend leurs termes et dit des mensonges aux Français » , a également dénoncé l’écologiste Cyrielle Chatelain. « À écouter François Bayrou évoquer tranquilou le fantasme de la submersion migratoire, on se dit qu’il y a ici non de la maladresse, mais un arrière-fond xénophobe. Il avait déjà « dérapé » de la sorte dans son discours de politique générale », ajoute sur X le député socialiste Arthur Delaporte.
Ses propos ont, surtout, gargariser au sein des rangs de l’extrême droite, qui se sont engouffrés dans la brèche. « Je pense qu’on a gagné depuis très longtemps la bataille idéologique », a ainsi osé Sébastien Chenu, vice-président du Rassemblement national (RN), au micro de France Inter, tôt ce mardi 28 janvier. Invité par Pascal Praud sur le plateau de CNews, toujours mardi matin, Gérald Darmanin en a profité pour attaquer à nouveau les personnes sous le coup d’une Obligation de quitter le territoire (OQTF).
L’ex-ministre de l’Intérieur – qui a confirmé la position de François Bayrou sur la « submersion » migratoire – a même affirmé, qu’avec Bruno Retailleau au gouvernement, « les LR redécouvrent ce que c’est que le réel », avant d’en appeler à un élargissement du bloc central… autour de l’immigration. « Le PS devrait sans doute participer à une action gouvernementale, parce qu’ils redécouvriraient ce qu’est le réel », a-t-il ainsi lancé.
Ce entretien a aussi été l’occasion, pour le Premier ministre, d’éjecter la mise en chantier d’un référendum sur l’immigration, demandé avec insistance par les formations de droite et d’extrême droite, ainsi qu’évoqué brièvement par le président de la République, Emmanuel Macron, dans ses vœux pour 2025. « Le champ du référendum est très clairement défini par les institutions, a estimé François Bayrou. Il faut que ce soit l’organisation des pouvoirs publics, économique ou sociale. »
Dans l’hémicycle à partir du 3 février prochain
Il poursuit ainsi son numéro d’équilibriste entre un projet politique dans la lignée du macronisme et sa tentative de se créer une image de dirigeant prêt au compromis. Il n’a, par exemple, pas hésité à féliciter la stratégie de Bruno Retailleau, qui s’est attaqué au statut des sans-papiers et a affiché sa proximité avec le groupuscule raciste Némésis, tout en louant la volonté d’Eric Lombard (ministre de l’Économie) à promouvoir « une immigration de travail ». Ces deux derniers ont tous « les deux » raison, a-t-il ainsi lâché tout en se prononçant en faveur d’une restriction du droit du sol à Mayotte.
François Bayrou a profité de cet entretien sur la chaîne du groupe TF1 pour aborder un panel de sujets sur lequel son gouvernement – qui pourrait être tout aussi éphémère que celui de son prédécesseur, le républicain Michel Barnier – est attendu au tournant. « J’ai confiance dans le sentiment de responsabilité de tous », a-t-il affirmé, alors que les débats ont repris, lundi 27 janvier, en commission à l’Assemblée nationale, sur les comptes de la Sécurité sociale.
Une réunion cruciale de sept sénateurs et sept députés, réunis en commission mixte paritaire (CMP) pour chercher un compromis sur le budget de l’État, est quant à elle prévue jeudi. Le texte doit ensuite revenir dans l’hémicycle à partir du 3 février prochain. Le texte sur la Sécurité sociale (PLFSS), dont la première mouture avait entraîné la chute du gouvernement Barnier début décembre, qui est au centre des discussions, se base sur la version adoptée par le Sénat, fin novembre 2024.
Mais les termes de l’équation ont changé. Le déficit de la Sécu prévu pour 2025 est désormais anticipé à au moins 23 milliards d’euros, contre 16 milliards évoqués à l’automne. De plus, l’exécutif a conscience que la version du texte adoptée la semaine dernière par le Sénat doit être adoucie. La macronie espère ainsi pouvoir éviter, la semaine du 3 février, l’utilisation probable du 49-3, synonyme d’une nouvelle motion de censure déposée par la France insoumise.
C’est pourquoi François Bayrou a utilisé sa présence sur LCI pour de nouveau tenter de convaincre le Parti socialiste (PS) de se ranger de son côté. Il a par exemple confirmé l’abandon de la suppression de 4 000 postes d’enseignants, écarté l’hypothèse de sept heures de travail non rémunérées par an pour financer la Sécurité sociale. « Le compte n’y est pas complètement, mais on chemine », a réagi le chef de file des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, sur la même chaîne.
Mais les socialistes « ne sont pas les seuls » à avoir des exigences. François Bayrou se tourne aussi vers la droite, le camp macroniste et l’extrême droite. Outre son discours sur l’immigration, le Premier ministre a confirmé une contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus et les grandes entreprises. Il a aussi assuré que les ménages ne paieront « aucun impôt nouveau » en 2025. Le tout avec la survie de son gouvernement comme seule boussole.
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