Aucun tabou durant le « conclave », a assuré François Bayrou ? Chiche, lui ont répondu les représentants des organisations patronales. Ces derniers comptent bien se saisir de la « méthode inédite et quelque peu radicale » des négociations qu’a lancées le premier ministre en vue d’amender la réforme des retraites 2023 d’ici à mai. Mais chacun à sa façon. Pour le président du Medef, Patrick Martin, les rounds de discussion qui se sont ouverts vendredi 17 janvier doivent se muer en une conférence sur le « financement de la protection sociale » qui posera la question de la « capitalisation ». Son homologue de la Confédération des PME « proposera également des pistes pour sécuriser notre système de retraite en ajoutant au dispositif par répartition une part de capitalisation individuelle ». On comprend leur calcul. Diminuer la dépense publique servant à payer les pensions, c’est aussi diminuer les cotisations patronales qui abondent le régime général. Mais il faut bien compenser. Le patronat tient sa solution : pousser chaque travailleur à se constituer un bas de laine s’il veut espérer toucher une retraite décente à ses vieux jours.
Le vieux fantasme de la capitalisation
Depuis vingt ans, les gouvernements de droite se sont ingéniés à proposer ce genre de produits financiers individuels. À côté des assurances-vie, des livrets et valeurs immobilières ou des plans d’épargne d’entreprise, dont une partie seulement de l’argent thésaurisé est affectée au versement d’un capital au moment du départ ou d’une rente, des produits d’épargne dédiés ont émergé au début des années 2000 : PER (plan d’épargne-retraite), Pere (entreprise), Perp (populaire), Perco (collectif d’entreprise).
En 2019, Bruno Le Maire décide de donner un coup d’accélérateur à ces produits jusqu’alors réservés aux plus riches. Sa loi Pacte « pour la croissance et la transformation des entreprises » regroupe tous ces plans d’épargne en un seul, générique, décliné en trois versions (PER, Perin, Perob), bodybuildé aux ristournes fiscales pour accélérer les versements. À l’époque, le ministre de l’Économie escomptait dégager des fonds pour l’investissement dans l’économie réelle. Mais il s’agissait aussi d’accompagner le lancement de la réforme des retraites Delevoye-Philippe visant déjà à diminuer la dépense publique liée aux pensions. Une réforme qui s’est fracassée, fin 2019-début 2020, sur la mobilisation syndicale menée par la CGT, puis sur l’irruption du Covid.
16 millions de PER ouverts fin 2023
Les PER nouveau look ont depuis trouvé un public. « La part de l’assurance-vie baisse progressivement et représente désormais seulement 36,2 % des encours d’épargne-retraite. Cette baisse profite au PER, qui a déjà trouvé sa place dans l’épargne-retraite des Français », se félicite la directrice de l’offre et des études chez Eres, société qui propose elle-même ce genre de placement. Plus de 16 millions de PER étaient ouverts fin 2023, collectant 18,5 milliards d’euros de cotisations annuelles pour un encours total de 292,7 milliards.
1 145 milliards d’euros, c’est le montant total des produits financiers d’épargne retraite détenus par les Français en 2023, selon l’Observatoire des retraites européennes d’Eres
108,8 milliards d’euros, c’est l’encours total des Plans d’épargne retraite mi-2024
10,4 millions c’est le nombre de titulaires d’un plan d’épargne retraite
35 194 euros, c’est le montant maximum des sommes versées sur un PER qui ouvrent à défiscalisation chaque année./
L’épargne-retraite, un succès ? Pas vraiment, pondère la Cour des comptes dans un rapport rendu en novembre dernier. Seuls 13 % des actifs détenaient en 2022 un PER d’entreprise et 10 % un PER individuel, l’épargne-retraite ne représentant que 5,1 % des cotisations retraite et 2,3 % des prestations servies. Des actifs, qui plus est, très sélects. « Ces dispositifs sont plutôt réservés aux catégories socioprofessionnelles aisées, aux épargnants âgés et aux contribuables soumis à des taux d’imposition élevés », constate le rapport, qui décrit ces placements comme un outil d’optimisation fiscale.
Car les ristournes fiscales pour inciter aux versements coûtent un pognon de dingue à l’État : 1,8 milliard d’euros chaque année. La Cour des comptes appelle donc poliment à un « resserrement de l’avantage fiscal attaché à ce produit », d’autant que les PER ont un « faible impact » sur le financement de l’économie…
Mais le pire du pire, c’est que ces plans d’épargne-retraite ne sont pas vraiment de bons placements : ils sont soumis à des frais de gestion élevés de la part des établissements financiers gestionnaires ; à fiscalisation (heureusement) lors de la sortie en capital ou en rente. Surtout, la « volatilité des marchés » peut s’abattre sur eux. Après des années de versements, le néoretraité qui comptait profiter de son bas de laine fructifié peut en fait se retrouver avec un capital amputé par de mauvais placements.
L’alternative à ces mauvais plans demeure le système solidaire intergénérationnel proposé par la retraite par répartition. Pour le consolider financièrement, le Nouveau Front populaire comptait dans son programme des législatives « soumettre à cotisation » cette épargne, au même titre que « les dividendes, la participation, les rachats d’actions, les heures supplémentaires », afin d’abonder la Sécurité sociale. Car, comme l’expliquait Pierre-Louis Bras, ancien président du COR, le régime universel par répartition ne souffre pas d’un problème de dépenses, mais de recettes.
La petite musique du déficit du régime général des retraites, entonnée par les gouvernements successifs depuis 1993, a fait son chemin, instillant le doute sur la viabilité de notre système solidaire. Si bien que la retraite par capitalisation s’est peu à peu installée comme une évidence. Ainsi, selon une étude conduite par l’observatoire BPCE d’avril 2024, si « les Français semblent moins inquiets pour leur retraite » qu’un an plus tôt, alors en plein mouvement social contre le départ à 64 ans, ils considèrent tout de même « qu’épargner est devenu incontournable pour pouvoir bénéficier, le moment venu, d’une “bonne retraite” ». Une personne interrogée sur deux « affirme mettre de l’argent de côté pour sa retraite ». Une tendance de plus en plus marquée chez les jeunes dès leur entrée sur le marché du travail : 37 % des 18-24 ans et 46 % des 25-34 ans déclarent épargner d’ores et déjà pour leur retraite. Savent-ils que leur épargne-retraite, placée sur les marchés, peut se solder par une perte en capital ?
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