À presque un mois du troisième anniversaire de la guerre en Ukraine, Donald Trump fait son retour à la Maison Blanche. Quelles conséquences sur le conflit ? Midi Libre a posé la question à Ulrich Bounat, analyste géopolitique spécialiste de l’Europe centrale et de l’Est.
L’invasion en Ukraine devait être une question de jours pour Vladimir Poutine. Cette “opération militaire spéciale” lancée en 2022 avait pour but de “dénazifier” le pays de Volodymyr Zelensky. Mais près de trois ans après le début de l’offensive, la ligne de front stagne, le bilan humain est lourd, les infrastructures ravagées et les relations internationales deviennent plus que tendues.
Lundi 20 janvier, Donald Trump deviendra officiellement le 47e président des États-Unis. Le républicain entend changer drastiquement de stratégie tant avec ses homologues russe et ukrainien qu’au niveau économique.
La promesse des “24 heures”
Le milliardaire américain avait assuré durant sa campagne pouvoir régler le conflit “en 24 heures”, mais cette promesse devrait être compliquée à tenir. “Il semble que Donald Trump et son équipe aient allongé le délai. Désormais, lorsque Keith Kellogg [émissaire pour l’Ukraine et la Russie] s’exprime, il parle d’un délai d’au moins trois mois, voire du mois de mai afin d’obtenir des résultats avec la Russie”, indique Ulrich Bounat, expert en géopolitique et spécialiste de l’Europe centrale et de l’Est, contacté par Midi Libre.
Si la paix n’est pas envisageable pour le moment, un cessez-le-feu est un “objectif majeur” pour celui qui fera son retour à la Maison Blanche lundi prochain. Mais comment va-t-il faire pour obtenir l’arrêt temporaire des combats ? “Il va probablement utiliser de la ‘carotte et du bâton’ avec les deux protagonistes [Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine]. Dans ce cadre-là, l’aide américaine à l’Ukraine est probablement sur la sellette”, souligne l’expert. Une décision qui ne serait pas sans conséquences.
Une stratégie américaine
Le président ukrainien ne cesse d’entretenir les relations avec ses alliés afin de garantir le soutien militaire et financier à l’Ukraine. “L’aide américaine, en termes financiers et militaires, c’est environ 50 % de toute l’aide que reçoit l’Ukraine. Sur certains matériels, elle est indispensable, notamment sur les missiles longue distance, les avions de chasse, les systèmes de lance-roquettes multiples, les obus d’artillerie…”, explique l’expert spécialiste du conflit.
Si, par stratégie, Donald Trump décide de couper son soutien au pays au drapeau bicolore, “l’armée ne s’effondrera pas mais il est probable que les Ukrainiens aient plus de mal à tenir le front parce que pour le moment, ce ne sont pas les Européens qui sont capables de compenser”.
Les États-Unis ont par ailleurs une capacité de blocage : ils ont un droit de veto sur les missiles britanniques Storm Shadow et français Scalp.
“Donald Trump incite les Européens à réfléchir à ce que l’on appelle en France ‘l’autonomie stratégique’. Cela consiste à se dire que le soutien américain n’est plus aussi garanti qu’avant. Dans ce cas-là, ne serait-il pas bon de plus investir dans notre défense mais aussi pour aider l’Ukraine ?”, avance Ulrich Bounat, en faisant référence à la menace de Donald Trump qui a évoqué une possible sortie de l’Otan. Une telle décision viserait donc les pays d’Europe de l’ouest à augmenter son soutien (financier et militaire) à l’Ukraine.
Pour autant, cet éventuel retrait des États-Unis du traité permet surtout à Donald Trump de “flatter sa base populaire et d’arriver en position de force lors de négociations”.
Trump-Poutine : une rencontre “probable”
Le successeur de Joe Biden a assuré vouloir rencontrer Vladimir Poutine prochainement, ce à quoi Moscou a répondu être “ouvert au contact”. Plusieurs pays se proposent même pour accueillir les deux dirigeants tels que la Suisse, la Slovaquie ou encore la Hongrie.
Si des doutes peuvent être émis sur cette rencontre, pour Ulrich Bounat, celle-ci est tout à fait “probable”. Le cessez-le-feu serait la ligne directrice de ces discussions et cela passe donc par un “gel la ligne de front, il s’agit donc d’un gain territorial pour la Russie, un moyen de reconnaissance des territoires qu’elle occupe”. Cela permettrait à Vladimir Poutine de revenir dans le “jeu international”.
Mais ce n’est pas sans risque pour le maître du Kremlin car le futur locataire de la Maison Blanche a également un moyen de pression sur son homologue russe. Si l’arrêt temporaire des combats n’est pas accepté par Poutine, Trump pourrait alors augmenter ses capacités d’aide à Kiev, notamment en formant une armée de l’air ukrainienne.
Une alliance triangulaire
La Russie, qui souffre elle aussi du manque d’hommes sur le front et qui peine à regagner du terrain dans l’oblast de Koursk, peut s’appuyer sur le soutien de plusieurs alliés. Ces derniers mois, les liens entre Moscou et Pyongyang se sont renforcés avec la signature d’un accord de défense mutuelle et l’envoi de soldats nord-coréens aux côtés des soldats du Kremlin.
Vladimir Poutine fait partie d’une alliance tripartite, où s’ajoute l’Iran, ennemi des États-Unis et pays en guerre avec Israël. Mais selon l’analyste en géopolitique, Téhéran ne devrait pas envoyer d’hommes et se contenterait d’une aide militaire, avec notamment les drones Shahed. Un pacte devrait également être signé avec l’Iran dans les prochains jours, lors d’un déplacement de Vladimir Poutine.
“Poutine ne renoncera pas à contrôler l’Ukraine”
Si les relations semblent pourtant bonnes entre Volodymyr Zelensky et le 47e président américain, l’Ukraine avait pourtant jeté son dévolu sur le camp démocrate.
“Le premier choix de l’administration ukrainienne était Kamala Harris. Cela s’est vu lors de la campagne et des déplacements de Volodymyr Zelensky à Washington et New-York, qui a dû repousser son départ de 24 heures en raison de l’attente imposée par Donald Trump.”
Le retour de Donald Trump ne sera donc certainement pas sans conséquences. Fin du conflit ou escalade ? Le futur de la guerre en Ukraine est encore très incertain, mais une paix durable ne se présage que peu. “Vladimir Poutine n’a pas du tout renoncé à son objectif de contrôle de l’Ukraine que ce soit militairement ou via des proxys politiques, car il estime que c’est existentiel pour la Russie. Poutine ne renoncera pas à contrôler l’Ukraine”, affirme Ulrich Bounat.
Les objectifs stratégiques de deux pays sont aux antipodes
Pour l’analyste, la pause devrait donc être la prochaine étape majeure dans cette guerre d’attrition. “Un cessez-le-feu n’est pas impossible, même pas du tout impossible. Sur le terrain on essaye de tout mettre sur la table pour récupérer un maximum de territoire, tout en tenant des discours un peu plus ouverts vers la diplomatie car lorsque Donald Trump demandera l’ouverture des négociations, ils ne vont pas pouvoir totalement l’ignorer.”
“Actuellement, on a paradoxalement une escalade militaire en anticipation de ces négociations de cessez-le-feu. Mais en revanche pour une paix durable, cela me semble très peu probable, car les objectifs stratégiques des deux pays sont aux antipodes”, a conclu l’expert.