Pas sûr que le premier ministre survive à son poste plusieurs mois. François Bayrou en a d’ailleurs plaisanté dès le début de son intervention devant les députés, ironisant sur les « 84 % de Français qui pensent que le gouvernement ne passera pas l’année ».
Ainsi assailli, et se déclarant « contraint au courage », il a d’emblée annoncé que de tous les maux qui frappent la France, le premier serait celui de la dette. Les responsables seraient même devant lui : « Tous les partis dits de gouvernement ont une responsabilité dans la situation créée ces dernières décennies », a-t-il asséné, sans oublier « tous les partis d’opposition » qui, « demandant sans cesse des dépenses supplémentaires, ont dansé aussi le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice ».
Une nouvelle cure d’austérité
Une fois les esprits saisis par cette attaque frontale, restait à savoir comment François Bayrou compte résoudre le problème. En augmentant les recettes fiscales ? Certainement pas.
Le premier ministre a donc annoncé une nouvelle cure d’austérité. Le tout en passant par une procédure budgétaire, qui reprend mercredi 15 janvier au Sénat, ne permettant pas l’adoption de recettes supplémentaires. Les dépenses seront donc sabrées. Et pour financer les investissements, François Bayrou compte sur une privatisation « des biens immobiliers de l’État ».
L’argument de la dette, ici utilisé contre notre modèle social, a également été très rapidement utilisé concernant nos retraites. Sur les 1 000 milliards d’euros de dette nouvelle creusée en dix ans, François Bayrou a estimé que la moitié serait imputable à notre système de retraites, au motif que l’État emprunterait « chaque année » 45 milliards d’euros pour combler le déficit du régime.
Courtisée, la gauche n’obtient finalement pas grand-chose
Une nouvelle façon d’accuser les Français de partir à un âge et de toucher des pensions au-dessus de leurs moyens, alors que des solutions de financements existent. Et comme il était ici attendu au tournant par une partie de la gauche, le chef du gouvernement a annoncé la tenue d’un « conclave ».
Partenaires sociaux et patronat se réuniront à partir de vendredi pour trouver un moyen de revenir sur le départ à 64 ans. Si une solution rassemble, elle sera reprise dans le budget 2026, sinon, la réforme d’Élisabeth Borne restera inchangée. Or le patronat disposera donc d’un droit de veto, ce qui inquiète sur les bancs de la gauche.
Courtisée afin d’éviter qu’elle ne vote une censure, cette dernière n’a finalement pas eu grand-chose à se mettre sous la dent. François Bayrou a annoncé que « l’étude » des cahiers de doléances des gilets jaunes devait être reprise. « L’effort financier demandé aux collectivités sera ramené de 5 milliards initialement à 2,2 milliards en 2025 », a-t-il également énoncé.
L’immigration pour flirter avec l’extrême droite
Les déremboursements de médicaments, envisagés par son prédécesseur Michel Barnier, seront annulés. Enfin, « pour faire face à l’enjeu de la soutenabilité de l’hôpital, le gouvernement proposera une hausse notable de l’objectif national de l’assurance-maladie (Ondam) », a informé François Bayrou.
Mais dans le même mouvement, le chef du gouvernement a lancé de fluorescentes œillades à l’extrême droite, estimant que les immigrés mettent « en péril, par leur nombre, la cohésion de la nation ». Affirmant que 93 % des obligations de quitter le territoire français (OQTF) ne sont pas exécutées, le chef du gouvernement compte réactiver « le comité interministériel de contrôle de l’immigration ».
« L’installation d’une famille étrangère dans un village pyrénéen ou cévenol, c’est un mouvement de générosité qui se déploie (…). Mais que trente familles s’installent et le village se sent menacé et des vagues de rejet se déploient », a-t-il insisté, avant de prendre exemple sur les « illégaux » de Mayotte, qui si la situation était la même à Paris, seraient « 500 000 intra-muros ».
Vers une censure à gauche
Enfin, parmi les mesures qui pourraient plaire à tous, François Bayrou a annoncé la création d’une « banque de la démocratie » et a ouvert la porte à une élection des députés à la proportionnelle, sur une base territoriale, tout en restaurant au passage le cumul des mandats de maire et de parlementaire.
De quoi s’éviter les foudres d’une censure à gauche ? « Nous sommes très loin du compte sur les retraites, le pouvoir d’achat, les salaires, l’emploi, les services publics, l’industrie », a réagi, hors de l’Assemblée, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel.
Plusieurs parlementaires communistes prévoient d’ores et déjà de voter la motion de censure de la France insoumise qui sera présentée jeudi. À la tribune de l’Assemblée, le député PCF Stéphane Peu a fustigé le refus de François Bayrou de « nommer une conférence sociale » et a appelé à ce que « le Parlement puisse travailler à une loi se substituant à la réforme repoussant l’âge de départ à la retraite à 64 ans ».
« Macron doit partir après sa troisième défaite électorale depuis 2022 »
La présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, a annoncé que son groupe censurerait le gouvernement, mettant en garde la tentation de celui-ci d’accompagner les « relents xénophobes les plus vils de l’extrême droite ». Et Mathilde Panot, présidente du groupe FI, s’en est prise à un gouvernement « arc-bouté sur la défense du monarque présidentiel ».
« Macron doit partir après sa troisième défaite électorale depuis 2022 », a-t-elle fustigé. Lors de son intervention, le chef de file des députés PS, Boris Vallaud, n’a pas donné signe de l’attitude de son groupe. « Votre politique, monsieur le premier ministre, n’est pas la nôtre », a-t-il exposé, assurant demeurer « dans l’opposition » et refuser « tout portefeuille ministériel ».
Mais il a mis les députés partisans du gouvernement devant ce dilemme réel : « Que préférez-vous, la laisse et le bâton du RN ou la discussion exigeante avec la gauche ? » Il a toutefois mentionné les victoires « grâce à la gauche » que constituent certaines concessions de François Bayrou dans son discours, telle l’indexation des retraites sur l’inflation.
La droite s’inquiète des injonctions des marchés financiers
Et a ensuite interrogé le premier ministre pour avoir des précisions sur la contribution sur les hauts patrimoines, la taxe sur les transactions financières, l’augmentation des dépenses d’assurance-maladie, l’annulation de la suppression de 4 000 postes dans l’éducation nationale.
« Le compte n’y est pas », prévient-il. D’autant plus que François Bayrou a écarté toute hausse des impôts sur les plus grandes entreprises, estimant qu’une telle politique reviendrait à « tuer la poule aux œufs d’or ». Un argument que Laurence Parisot a assuré avoir brandi lorsqu’elle était présidente du Medef, ce qui donne une bonne idée des inspirations du premier ministre.
Du côté du « socle commun » les députés LR s’inquiètent justement du regard des marchés financiers, raison pour laquelle eux et les macronistes ont intimé, avec succès, au premier ministre de ne pas suspendre la réforme des retraites.
Pour emprunter, « nous sommes perçus comme moins sérieux que la Grèce », s’est indigné Laurent Wauquiez, le président de groupe, oubliant que la dette a largement été creusée en faisant des cadeaux et en répondant aux injonctions des marchés financiers.
La censure votée jeudi
Et à l’extrême droite ? Éric Ciotti, président du groupe UDR, n’est pas préoccupé par la question sociale. Il s’en est pris à une France « orange mécanique » minée par l’insécurité, avec autant de clandestins que « la population de la ville de Marseille ».
Jean-Philippe Tanguy, orateur du Rassemblement national, a poussé l’hallucination identitaire : « Le macronisme n’est qu’un trou noir détruisant l’identité de la France ».
Reste à savoir qui votera, ou non, la censure de jeudi. Jean-Luc Mélenchon a annoncé que les députés de gauche ne la votant pas seraient à ses yeux désormais en dehors du Nouveau Front populaire. Mardi soir, la plupart des députés NFP semblaient cependant disposés à la voter. Mais le vote déterminant pour l’avenir de François Bayrou interviendra sans doute, comme pour Michel Barnier, au moment de se prononcer sur le budget.
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