Serrées autour du bar, les habituées se retrouvent et font connaissance avec les nouvelles venues. Olivia Barreau, la fondatrice de Moi et mes enfants (Meme), a une technique efficace pour briser la glace : chacune choisit un geste qui lui est associé et tout le monde devra le faire en même temps à l’énoncé de son prénom.
S’ensuit une joyeuse chorégraphie, ponctuée d’éclats de rire. Les enfants jouent ensemble et ne s’approchent de leurs mères que pour attraper une poignée de chips ou un verre de jus de fruit avant de retourner courir entre les tables sous l’œil bienveillant d’Olive Oulaï. Salarié de l’association depuis deux ans et demi, ce grand gaillard originaire de Côte d’Ivoire est le coordinateur du tiers lieu de l’association dans le 13e arrondissement parisien, qui a pris des airs de fête à l’approche de Noël.
Seule obligation, s’inscrire à l’avance et apporter un plat
Perché sur une chaise, Karlito finalise l’installation d’une guirlande électrique, tout autour de la grande pièce où trône déjà un majestueux sapin orné de boules multicolores. « Pour une fois ce sont les hommes qui travaillent pendant que les femmes discutent entre elles », remarque le quinquagénaire.
Lui a décidé de donner un coup de main après avoir rencontré Olive lors d’un évènement organisé par l’entreprise où il exerce en tant qu’analyste financier. « Quand il m’a expliqué ce que faisait Meme, cela m’a tout de suite parlé puisque j’élève seul mon fil de 19 ans depuis ses 11 ans », raconte-t-il.
Une quinzaine de familles ont répondu à l’invitation lancée par Meme. Seules obligations pour cet après-midi festif gratuit et ouvert à tous : s’inscrire à l’avance et apporter un plat à partager. Joana, 36 ans, mère de deux jeunes enfants, a préparé un gratin créole à base de poisson et de patates douces. « Une spécialité de mon île Maurice », précise la commerciale pour une grande chaîne hôtelière.
« Ça fait du bien de pouvoir discuter sans tabou »
Elle a découvert Moi et mes enfants en surfant sur Internet. Depuis 2022, elle est seule avec les petits, sans aucune aide de leur père et loin de sa famille. « La période de Noël est toujours un peu triste. On se sent particulièrement isolé, car les amis et les collègues qui nous entourent sont en famille. Alors ça fait du bien de trouver un peu de chaleur auprès de personnes qui vivent la même chose », explique celle qui n’a pas hésité à faire le déplacement depuis La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine).
Marie, elle, est une habituée. Cette mère de quatre enfants est venue avec les deux plus jeunes, Idriss, 6 ans, et Dina, 4 ans. À 46 ans, sans emploi, elle se débrouille comme elle peut sans aucune aide de leur père. En plus de l’aide juridique apportée par l’association, elle s’est fait des copines ici. « Ça fait du bien de pouvoir discuter sans tabou et en ce moment j’oublie un peu mes problèmes », explique-t-elle.
Cette entraide, c’est aussi ce qu’espère Hakima, 36 ans, qui découvre le lieu. Venue en voisine avec Kamil, son fils unique de 7 ans, cette chirurgienne-dentiste se force à reprendre une vie sociale après avoir lutté contre un cancer du sein. Une bataille qu’elle a menée seule, tout en s’occupant de son fils. « Ici, assure-t-elle, je pense pouvoir rencontrer d’autres parents, avoir des discussions entre adultes et sortir d’un certain huis clos avec mon fils, qui a aussi besoin de faire des activités avec d’autres enfants. » Pour Kamil, en plein jeu de cartes avec deux gamins de son âge, ça semble déjà gagné.
« J’ai rapidement réalisé que je n’étais pas seule dans cette situation »
Forte du constat qu’il faut penser d’abord à soi pour être en capacité de s’occuper correctement de ses enfants, Olivia Barreau a créé Meme en 2017, inspirée par son parcours personnel. En 2015, à la suite de la séparation d’avec leur père, l’intermittente du spectacle se retrouve seule avec une fillette de 4 ans et un petit garçon de 10 mois à charge. « Je l’ai vécu comme une grande injustice. Mais j’ai rapidement réalisé que je n’étais pas seule dans cette situation, à devoir tout gérer et à être confrontée à un sentiment d’échec. »
En 2017, cette énergique quadragénaire fonde l’association afin de proposer aux parents isolés des sorties, des vacances à tarif négocié et des évènements festifs comme celui d’aujourd’hui.
En 2019, lauréate de l’appel à projet du budget participatif de la Ville de Paris, elle peut ouvrir le premier tiers lieu destiné aux familles monoparentales, où se retrouvent régulièrement les 181 familles adhérentes de l’association, soit 1 millier de personnes environ au cours de l’année.
Faire avancer le droit des mères isolées
« Nous organisons des ateliers d’art-thérapie, des conférences sur la parentalité, indique Olivia. Un animateur s’occupe des enfants pour que les femmes aient l’esprit vraiment libre. » Olivia s’est aussi donné pour mission de faire avancer les droits des mères isolées, qui représentent 82 % des 2 millions de familles monoparentales en France et dont plus du tiers vit sous le seuil de pauvreté. La fondatrice de Meme invite régulièrement des responsables politiques.
C’est ainsi que Mama a pu expliquer de vive voix à la ministre de la Famille d’alors que « ce n’est pas normal que l’allocation parent isolé soit supprimée dès que l’on se remet en ménage. Cela n’est pas logique et peut créer des tensions au sein du nouveau couple ».
Cette expérience l’a transformée. « Je ne pensais pas avoir la capacité de réclamer des droits, mais ici je me sens légitime, cela me donne confiance en moi », assure la jeune femme, qui est même allée à l’Assemblée nationale pour témoigner de la situation des parents isolés.
Un cadeau pour chaque enfant
Tandis que les discussions vont bon train autour de la table et que des acclamations fusent depuis les salles de jeu, discrètement Karlito s’est éclipsé. Une cloche retentit… Barbe blanche, costume rouge, pas d’erreur le père Noël est là !
La petite Méléa, qui l’a tout de suite reconnu, lui saute dans les bras. Tandis que les mères de famille sortent leur téléphone pour immortaliser l’évènement, la distribution commence. Grâce à la générosité d’une fondation d’entreprise, chaque famille repartira avec des douceurs à partager et un cadeau pour chaque enfant adapté à son âge.
Une fois la table débarrassée, on se répartit les restes, on traîne autour d’un dernier café, on s’embrasse et se promet de se revoir bientôt. Si ce n’est pas un Noël en famille, cela y ressemble quand même drôlement.
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