Depuis le 4 octobre 2023, Barbara (le prénom a été modifié) ne peut plus travailler. Ce jour-là, comme tous les jours depuis quelques semaines, elle était envoyée en mission d’auxiliaire de vie dans la même maison de retraite par la plateforme de recrutement de personnel médical Click & Care.
« Une patiente qui requérait beaucoup d’attention voulait aller aux toilettes. Au moment du transfert depuis le fauteuil roulant, nous sommes tombées toutes les deux. Je ne me suis pas posé de question : je me suis mise en dessous pour la protéger », raconte la professionnelle.
Heureusement, la pensionnaire n’a rien. En revanche, pour l’auxiliaire de vie, la douleur est fulgurante. Aux urgences, une fissure de la rotule ainsi qu’une entorse du genou et du poignet sont constatées. L’opération est inévitable. « On a dû ensuite me faire des infiltrations. Mais j’ai encore des douleurs épouvantables au genou. Ma mère de 81 ans est plus mobile que moi », soupire-t-elle.
« Sans la retraite de mon mari, je serais aujourd’hui sans ressources »
À sa sortie de l’hôpital, Barbara avait bien envoyé à la plateforme ses certificats médicaux en vue de la reconnaissance de son accident du travail. « Ils m’ont répondu que j’étais autoentrepreneuse, qu’ils ne salariaient pas les gens ! » L’assurance de Click & Care lui a toutefois versé l’équivalent d’un mois de revenus, le maximum possible. Elle s’emporte : « Alors je n’ai droit à rien : ni chômage ni reconnaissance de l’accident du travail auprès de la Sécurité sociale. Sans la retraite de mon mari, je serais aujourd’hui sans ressources. »
Avant l’accident, la quinquagénaire ne se pensait pas du tout indépendante, mais salariée d’une plateforme d’intérim. Car, jusqu’alors, l’auxiliaire de vie était salariée par des familles pour lesquelles elle travaillait à leur domicile, grâce aux chèques emploi-service (Cesu). Après avoir été aidante de son frère, Barbara a voulu reprendre une activité professionnelle. Réinscrite à Pôle emploi, son CV est proposé en ligne par son conseiller. Deux jours plus tard, Click & Care l’appelle.
« Comme tout employeur, ils m’ont demandé mon numéro de Sécurité sociale, ma pièce d’identité et si j’avais un casier judiciaire. Puis ils m’ont fait travailler tout de suite dans une maison de retraite. C’est eux qui m’envoyaient mes plannings, comme dans une agence d’intérim. Pour Lina Bougrini, fondatrice de Clic & Care contactée par l’Humanité, il était évident « qu’en tant qu’auxiliaire de vie dans un Ehpad elle savait parfaitement sous quel statut elle travaillait. Nous doutons de la bonne foi de cette dame. Si être indépendante ne lui convenait pas, il ne fallait pas prendre les missions ».
« Des missions d’intérim déguisées »
Comme Barbara n’a jamais créé d’autoentreprise, elle insiste auprès de la plateforme pour obtenir la reconnaissance de son accident du travail. En vain. « Click & Care m’a envoyé des courriers expliquant que j’étais indépendante. Mais ils se sont permis d’établir des factures en mon nom, sans numéro de Siret (Système d’identification du répertoire des établissements). » La direction de la plateforme précise qu’ils étaient « en attente de son Siret et qu’il était de sa responsabilité de créer son autoentreprise ».
Depuis, l’avocat Kevin Mention porte son dossier aux prud’hommes. La requalification de son emploi en contrat de travail salarié lui ouvrirait des droits sociaux en plus de droit à des indemnités. « Elle dispose d’un planning, travaille aux côtés de salariés, accomplit les mêmes tâches qu’eux, sous les ordres de la même hiérarchie… Il ne s’agit pas du tout un travail d’indépendant », assure l’homme de loi, pour qui « ce sont des missions d’intérim déguisées ».
Pour l’avocat, la plateforme donne l’impression de mieux rémunérer que les offres salariées classiques pourtant très nombreuses. Mais « les personnes se rendent compte ensuite qu’elles ne disposent pas de complémentaire santé, de congés payés, ni de prime de précarité ou de droit aux indemnités chômage… Et qu’il faut encore payer 22 % de cotisations sociales à l’Urssaf, énumère-t-il. Mais, le pire, c’est bien quand se produit un accident du travail ». De son côté, Click & Care a mis fin à l’activité de vacation dans les Ehpad ce mois-ci, pour se consacrer pleinement à l’aide à domicile.
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