À Yvon Gattaz, le grand patronat reconnaissant. Ce jeudi 12 décembre, les hommages pleuvent pour saluer la mémoire de celui qui défendit les chefs d’entreprise toute sa vie durant, à travers ses fonctions de dirigeant du Conseil National du Patronat Français (1981-1986) mais aussi de ses nombreuses prises de position dans l’espace public.
Bernard Arnault, dirigeant de LVMH, s’est ainsi empressé de rendre un hommage ému à un « ingénieur de grand talent, visionnaire fondateur d’un groupe industriel et technologique de rayonnement mondial, infatigable promoteur de l’entreprise, du développement économique et de l’emploi. »
Lutter contre le socialisme
De son côté, le MEDEF pleure celui qui « s’est battu avec opiniâtreté tout au long de son mandat pour faire primer la rationalité économique dans le débat public, luttant en particulier contre la surréglementation pesant sur les entreprises. » Une formule pudique pour désigner le combat acharné mené par Gattaz, alors patron des patrons, contre le socialisme au pouvoir à partir de 1981…
Contrairement à Bernard Arnault, Yvon Gattaz n’est pas un héritier. Né en 1925 dans l’Isère, fils d’instituteurs, il effectue de brillantes études d’ingénieur, couronnées par un diplôme de l’École centrale de Paris. Avec son frère aîné Lucien, il fonde la société Radiall en 1952, alors spécialisées dans la fabrication de connecteurs pour la toute jeune industrie de la télévision. L’entreprise ne tarde pas à prospérer.
Misant sur son image d’entrepreneur à succès et sa défense inlassable d’un capitalisme « éthique », il parvient à se faire élire à la tête du CNPF, en 1981. C’est également l’année où François Mitterrand, candidat du Parti socialiste (PS), entre à l’Élysée. Gattaz, qui a été horrifié par le programme commun signé en 1972 par les socialistes et les communistes, décide d’entrer en résistance contre les mesures économiques prônées par la gauche en 1981 – augmentation du salaire minimum, nationalisations, hausse des cotisations sociales, politique de la demande…
Au cours de son mandat, il rencontre François Mitterrand à plusieurs reprises en tête à tête. Par la suite, il a toujours prétendu avoir joué un rôle décisif dans la conversion des élites socialistes au néolibéralisme, opérée dès 1983 avec le tournant de la rigueur : « Quand je suis arrivé au CNPF, j’avais devant moi un SUT, socialisme utopique et tranchant, qui s’est transformé en SAR, socialisme arrondi et responsable, ironise Gattaz, grand amateur de sigles devant l’éternel, dans un entretien accordé en 1988. Je pense que cette conversion des socialistes à l’entreprise n’est en aucun cas une anomalie de l’histoire. Grâce à mon action et à celle du président de la République, elle est maintenant définitivement acquise. »
Pourfendeur « l’araignée syndicale »
En 1984, il se rend célèbre pour une promesse qui sera plus tard reprise et actualisée par son fils, Pierre Gattaz : il assure le pouvoir socialiste que les patrons sont prêts à créer 471 000 postes supplémentaires en France (on admirera la précision mathématique de l’évaluation), à condition que le gouvernement expérimente pendant cinq ans des « Emplois nouveaux à contraintes allégées » (ENCA).
Bien sûr, l’« allègement » consistera en diverses exonérations de cotisations, associées à la disparition de l’autorisation administrative du licenciement, en vigueur en France depuis 1975. Gattaz rentrera bredouille sur les « Enca », mais ne restera pas sur sa faim très longtemps : en 1986, pour sa dernière année à la tête du CNPF, il obtient du gouvernement de droite la disparition de l’autorisation administrative.
Après son départ de la direction de l’organisation patronale, Gattaz a multiplié les prises de position ultralibérales, réservant ses meilleures attaques aux syndicats, qu’il a pris en grippe dès le début de sa carrière. Dans un article paru en 2010, il déploie une virulence telle qu’elle choque jusqu’à certains éditorialistes pourtant peu suspects de gauchisme.
Pourfendant « l’araignée syndicale », Gattaz place les organisations de salariés en tête de sa « hiérarchie des horreurs » personnelle. Suit un déluge d’épithètes : les syndicats sont « menaçants, tragiques, démolisseurs, démoralisateurs, gréviculteurs, obsolètes, politisés, partisans d’un nivellement égalitaire dépassé ».
Et de conclure par un appel à l’élimination : « nécessaires au XIXe siècle, utiles puis abusifs au XXe, inutiles et nuisibles au XXIe, ils doivent disparaître. » On comprendra qu’aujourd’hui, les « nuisibles » ainsi visés ne se bousculent pas pour lui rendre hommage…
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