Nous sommes à l’automne 1992. Après une grande campagne nationale du parti communiste et des fractions de l’ancienne droite gaulliste, le résultat du référendum du 20 septembre sur le traité de Maastricht est très serré : 51,1 % pour le oui, 48,9 % pour le non. Dans les foyers populaires, se font durement sentir les effets d’une série de décisions prises depuis ce qu’on appelle le « tournant de la rigueur » des années 1983-1984, comme ceux de la mise en œuvre de l’acte unique européen voté le 17 février 1986 impulsant notamment la liberté de circulation des capitaux et des marchandises, les dérégulations bancaires et financières visant à développer un marché financier au détriment des investissements productifs. .
Le pouvoir d’achat populaire se contracte, une avalanche de licenciements s’abat sur le pays pour une grande part dans l’objectif essentiel de valoriser les seuls capitaux des possédants, d’en tirer des revenus financiers au détriment du travail. L’emploi devient une nouvelle fois une variable d’ajustement de l’économie capitaliste alors que se déploie une violente offensive ultra-libérale mondiale avec le Reaganisme et le Thatchérisme. Une nouvelle étape des « restructurations- désindustrialisation » des territoires s’engage.
Le parti communiste avait quitté, le gouvernement à direction socialiste, depuis dix ans, par refus de cautionner de tels choix, et lance alors dans tout le pays, département par département, territoire par territoire, à la mi-octobre 1992 une grande et large campagne de mobilisation populaire pour obtenir une loi contre les licenciements à visée financière. Manifestations devant les préfectures, les grandes entreprises, campagne de signatures de centaines de milliers de pétitions, rencontre avec les syndicats, les élus locaux, réunion publique, mobilisation de fédérations syndicales et d’union départementale CGT, obligent le premier ministre Pierre Bérégovoy à répondre aux inquiétudes des travailleurs et aux demandes des parlementaires communistes de faire voter une telle loi.
André Lajoinie, président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, affirme à plusieurs reprises qu’aucun plan de « restructuration » aboutissant à des licenciements ne doit être accepté tant qu’il ne comporte pas des dispositions de reclassement-formation de tous les salariés concernés, de la recherche d’activités nouvelles pour les entreprises dans le cadre des mutations en cours à cette époque, de réductions de temps de travail. Mais, André Lajoinie veille, à ce que la classe ouvrière ne soit pas trompée. Il réclame une formulation de la loi efficiente.
La campagne prend une nouvelle ampleur durant le mois de décembre 1992 et dès le début du mois de Janvier 1993. Le gouvernement propose quelques pansements que le groupe communiste et André Lajoinie refusent fermement. Puis, vers le 20 janvier, lors d’une session consacrée à « diverses mesures d’ordre social », André Lajoinie propose un texte en deux parties voté sous les huées de la droite et non sans divisions au sein du gouvernement socialiste.
Le premier amendement voté introduit dans le Code du travail un article L 321-4-1 ainsi rédigé :
« La procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu’un plan visant au reclassement de salariés s’intégrant au plan social n’est pas présenté par l’employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés.
« Ce plan doit prévoir des mesures autres que les dispositions concernant les conventions de conversion visées à l’article L. 321-5, telles que par exemple :
« – des actions de reclassement interne ou externe à l’entreprise ;
« – des créations d’activités nouvelles ;
« – des actions de formation ou de conversion ;
« – des mesures de réduction ou d’aménagement de la durée du travail. »
Le verrou que porte ce texte réside dans ces cinq mots : « nulle et de nul effet ». Il ne s’agit pas ici de la simple nullité d’une « procédure » de licenciement. Sont sanctionnés ici la nullité du licenciement lui-même et le droit à la réintégration.
L’application stricte de ce texte signifie que si le plan de reclassement est inexistant ou insuffisant, le plan social et les licenciements qui en résultent seront annulés, avec pour conséquence le droit à réintégration des salariés licenciés. Ce texte contesté par le grand patronat fait la preuve de son efficacité durant plus de vingt ans, en permettant d’annuler des dizaines de plans de licenciements qu’il permet de contester. En 1997 la Cour de cassation par une célèbre décision dite « SAMARITAINE », confirmera cette lecture stricte au grand dam des juristes du grand patronat.
Malheureusement c’est le gouvernement Hollande-Ayrault qui, le 14 juin 2013, modifiera – contre les seules voix des parlementaires communistes – le droit des licenciements économiques en retirant les contentieux des plans dit sociaux au juge judiciaire dans le cadre d’une loi dite de « sécurisation de l’emploi » qui n’est en réalité qu’une sécurisation des licenciements.
Le mécanisme juridique contraignant de la loi Lajoinie a été remplacé par un dispositif faisant de l’administration du travail l’organe public d’accompagnement des employeurs dans la construction des plans de licenciement.
La vigilance populaire a manqué alors pour empêcher cette mauvaise décision.
La seconde partie des amendements anti-licenciements était très novatrice car elle crée, pour la première fois, un contrôle de l’utilisation des fonds publics par les entreprises déjà sous perfusion d’aides et exonérations diverses.
Il est rédigé comme suit : « Il est institué dans chaque département une commission départementale de la formation professionnelle, de l’emploi et de l’apprentissage. Elle est présidée par le représentant de l’État dans le département. Il est assisté d’un rapporteur général élu parmi les élus et d’un rapporteur général élu parmi les représentants syndicaux.
La commission est composée à raison de :
– un tiers de maires, des adjoints ou des conseillers municipaux, élus à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne par les maires regroupés au sein des collèges électoraux déterminés en fonction de l’importance démographique des communes par des représentants du conseil général, élus par celui-ci à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ;
– un tiers de représentants des organisations syndicales les plus représentatives au plan national ; – un tiers de représentants des employeurs.
La commission départementale se réunit une fois par an pour entendre le rapport du représentant de l’État dans le département sur la situation de l’emploi, les aides publiques à l’emploi ainsi que les mesures favorisant le développement de l’apprentissage, de la formation en alternance et de la formation professionnelle dans le département.
Elle donne son avis sur les éléments portés à sa connaissance, et peut formuler toutes propositions tendant à améliorer l’efficacité des politiques poursuivies. »
Cette commission est donc tripartite composée d’un tiers d’élus locaux, d’un tiers de représentants des organisations syndicales, d’un tiers de représentants des employeurs afin de contrôler l’utilisation des aides publiques. La mise en place de ces commissions départementales a rapidement été torpillée sous le gouvernement Balladur suite aux législatives du printemps 1993.
Cette expérience peut servir. Elle montre qu’il est possible, par une combinaison du mouvement populaire et de l’action des parlementaires du Nouveau Front Populaire d’obtenir des résultats contre la pluie de licenciements en cours. Une réactivation de la loi du président Lajoinie est bien d’actualité pour contrer les quelque 300 plans de licenciement en cours.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
L’urgence sociale, c’est chaque jour la priorité de l’Humanité.
En exposant la violence patronale.
En montrant ce que vivent celles et ceux qui travaillent et ceux qui aspirent à le faire.
En donnant des clés de compréhension et des outils aux salarié.es pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.
Vous connaissez d’autres médias qui font ça ? Soutenez-nous !Je veux en savoir plus.