Il semble que la violence exercée par les autorités sur les personnes exilées se répercute de plus en plus sur les associations ou même les simples citoyens qui leur viennent en aide. Ce triste constat est documenté dans le rapport « Au mépris du droit », publié ce lundi 18 novembre par l’Observatoire des libertés associatives.
L’enquête de la chercheuse Mathilde Rogel, basée sur une multitude de témoignages et d’observations aux frontières de la Manche et de la mer du Nord (Calais, Dunkerque, Grande-Synthe), de l’Italie (Menton, vallée de la Roya et Briançon) et de l’Espagne, y démontre les pratiques illégales de la police pour tenter de décourager les personnes solidaires avec les exilés et entraver leurs actions. « Le phénomène s’est intensifié, décomplexé et massifié ces dernières années », pointe Agnès Lerolle, chargée du projet interassociatif de la Coordination d’actions aux frontières intérieures (Cafi).
Un harcèlement policier protéiforme
Les attaques les plus fréquentes contre les associations d’aide aux exilés et les citoyens solidaires consistent en un harcèlement policier qui peut prendre de multiples formes : contrôles de véhicule ou d’identité à répétition, intimidation et parfois même violence physique. « Une de nos bénévoles a été prise à partie sur le terrain par des policiers qui l’ont menacée de lui retirer son titre de séjour. À une autre, les policiers ont affirmé que si elle se faisait violer dans un campement, ils n’interviendraient pas », rapporte Alexia Douane, coordinatrice juridique et sociale au Refugee Women’s Centre à Calais.
Par ailleurs, signale la militante féministe, « la plaque d’immatriculation du véhicule de l’association a été ostensiblement prise en photo et nous sommes régulièrement verbalisés pour infraction au Code de la route quand nous déposons des personnes au départ des bus vers les centres d’examen de leur situation. De fait, de grosses pierres ont été placées sur le parking pour que l’on ne puisse plus se garer, on est donc obligés de s’arrêter au bord de la chaussée ».
La technique semble éprouvée puisque Médecins du monde (MdM) la subit, mutatis mutandis, dans le Dunkerquois, où l’ONG intervient depuis une quinzaine d’années pour réaliser des consultations médicales et des soins de santé primaires. « Les autorités tentent toujours d’éloigner le plus possible les exilés des lieux où ils peuvent recevoir de l’aide. Par exemple, à Dunkerque, le camp principal, coincé entre une zone industrielle et une autre classée Seveso, est à quarante-cinq minutes de marche du premier arrêt de bus. Le terrain y a été volontairement défoncé – je parle de cratères d’un mètre de profondeur – pour empêcher les camions de MdM de s’y garer… En 2023, on a dû changer dix fois de lieu d’intervention et six fois pour l’instant en 2024. C’est pourtant important d’être au plus près de personnes qui ne sont pas en grande forme, si elles ont besoin de nous ! » tempête Diane Léon, la coordinatrice du Programme Nord-Littoral de MdM.
Ses équipes ont également à subir des contrôles d’identité récurrents, parfois assortis de menaces personnelles visant à les décourager de poursuivre leurs actions. « Des policiers se sont permis de menacer une de nos bénévoles née à l’étranger de lui retirer son titre de séjour si elle continuait d’aider des exilés, s’indigne excédée la responsable associative. Les policiers savent pertinemment qui nous sommes et ce que nous faisons, mais ils ont pour mission de nous harceler. Et parfois, si on refuse de déplacer nos véhicules, car nous n’avons aucun autre endroit où stationner, ils nous verbalisent plusieurs fois par jour. »
Les amendes pour étrangler financièrement la solidarité
Ainsi, les amendes font partie de l’arsenal répressif visant à étrangler financièrement les associations. Entre mars 2020 et mai 2021, en période de couvre-feu et de confinement liée à la crise du Covid, l’association Utopia 56 en a reçu pas moins de 104 pour un total dépassant les 20 000 euros car les attestations de déplacement des bénévoles n’étaient soi-disant pas conformes lors de leurs actions sur le littoral du nord de la France.
Dans les Hautes-Alpes, les associations et citoyens solidaires qui effectuent des maraudes de nuit dans le Briançonnais pour venir en aide à des personnes perdues dans la montagne après avoir franchi un col sans équipement adapté n’échappent pas à la répression policière. « Dans un contexte de militarisation de la frontière, des bénévoles ont été placés en garde à vue (GAV), nos véhicules suivis et multicontrôlés », détaille Isabelle Lorre, coordinatrice de MdM à Briançon.
Alors même que ces faits ne sont plus condamnables depuis un arrêté très explicite du Conseil d’État en 2020, les forces de police invoquent régulièrement « l’aide au séjour et au transport » pour arrêter les personnes solidaires.
Au Pays basque, Fernand Perret, bénévole de l’association Bidasoa Etorkinekin, en a fait l’amère expérience : arrestation brutale, garde à vue (GAV), perquisition de son domicile, le tout précédé d’écoutes téléphoniques et du traçage de sa voiture pendant neuf mois, pour avoir véhiculé des personnes exilées depuis les environs de Hendaye jusqu’à un centre d’hébergement situé à Bayonne. « On m’a traité comme un grand criminel alors que je n’avais commis aucune infraction », regrette le jeune retraité, sorti de GAV sans aucune poursuite.
Outre l’utilisation abusive du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), les autorités peuvent aussi faire usage du Code de l’urbanisme pour essayer de faire fermer ou d’empêcher d’ouvrir des locaux associatifs destinés à l’accueil de personnes exilées. Les raisons invoquées sont généralement le trouble à l’ordre public et les nuisances présumées.
Dans le nord de la France, les arrêtés anti-distribution de nourriture se sont multipliés, de même que les interdictions d’accès des personnes migrantes à certains lieux de vie. « Dans le rapport, précise Mathilde Rogel, nous insistons le rôle que joue l’État dans ces comportements, qui ne sont pas des actes isolés et arbitraires d’agents de terrain. En effet, les discours des différents ministres de l’Intérieur sur les supposés ”appels d’air”, présentant de fait les personnes solidaires et les associations comme des obstacles à leur politique, font qu’ensuite les policiers se sentent autoriser à entraver (ces dernières) par tous les moyens. »
Les armes de l’extrême droite
Plus insidieuses, les attaques visant à dénigrer et ostraciser les acteurs de la solidarité avec les exilés se sont multipliées ces dernières années. Avec des arguments, issus de l’extrême droite, qui tendent à se diffuser plus largement dans le champ politique. Il s’agit d’euphémiser la dureté des parcours migratoires, d’accuser les ONG de créer un appel d’air par leurs actions ou de les assimiler à des passeurs.
Ainsi, en janvier 2024, le maire de Briançon, Arnaud Murgia, a pu déclarer que l’association Refuges solidaires était « une sorte d’Airbnb des passeurs ». Parfois, les associations sont aussi accusées de mettre en danger les personnes exilées. MdM, qui distribue des flyers aux candidats à l’exil vers l’Angleterre indiquant des numéros d’urgence et le moyen d’envoyer sa position en mer, en a fait les frais. « Il s’agit pourtant d’un dispositif de réduction des risques, indique Diane Léon. Pas d’encouragement des gens à traverser la Manche, ils n’ont pas besoin de nous pour cela. » Quant à l’appel d’air… « Même si on est sympas à MDM, je doute que des personnes quittent leur pays en guerre juste pour venir nous voir », ironise-t-elle.
On constate aussi la volonté d’empêcher l’action commune et la coordination interassociative. « En 2022, la MJC de Briançon a été fermée par la communauté des communes. Or, ce lieu servait aux réunions des acteurs solidaires sur le territoire… Ne plus pouvoir nous réunir a porté un sale coup à nos actions, témoigne Isabelle Lorre. Cette volonté de nous invisibiliser se traduit aussi par le refus de l’agrément pour un service civique, par exemple. D’ailleurs, nous ne sommes pas conviés par la municipalité au forum des associations. »
À Calais, les associations qualifiées de « pro-migrantes » par la préfecture sont non seulement dénigrées, mais ne peuvent nouer aucun lien de coopération avec les autres associations, mandatées par l’État, même si leur champ d’action et leur public se recoupent. « Les financeurs de ces associations leur recommandent de ne pas travailler avec nous ; du coup, elles ne nous transmettent aucune information sur la situation de personnes passées par elles », déplore Alexia Douane.
Toutes ces atteintes aux libertés des associations et des personnes solidaires œuvrant aux frontières ne sont pas sans conséquences. Les violences ou l’intimidation policières provoquent des séquelles psychologiques sur les équipes. « Du burn-out, et des bénévoles qui renoncent », traduit Agnès Lerolle. Des pertes en ressources humaines qui se doublent pour les associations d’une perte de ressources financières (amendes, frais de justice, etc.), mais aussi de temps.
« Le petit jeu de chat et de la souris avec les forces de l’ordre est chronophage. Et comme nous effectuons un signalement à la préfecture pour chaque incident, cela ampute sérieusement le temps consacré à nos missions », soupire Diane Léon, avant d’illustrer ses dires par un récit glaçant. « Il nous arrive de devoir appeler les secours quand nous sommes confrontés à des cas urgents. Or, dans les campements, les pompiers interviennent systématiquement accompagnés de la police. Parfois, on aperçoit leur camion mais ils n’approchent pas tant que les policiers, qui prennent leur temps, ne sont pas avec eux… Quand les agents arrivent enfin, ils nous enjoignent parfois de communiquer l’identité de la personne malade ou blessée. Si nous refusons en raison du secret médical, ils refusent de laisser partir l’ambulance vers l’hôpital. Cela peut constituer une perte de chance pour une personne en détresse respiratoire ou en arrêt cardiaque. Du coup, cela pose un cas de conscience aux équipes médicales. » Ou comment rester militant sans mettre en danger les personnes qu’on aide ? Une question qu’en démocratie, des associations œuvrant en toute légalité ne devraient pas avoir à se poser.
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