Comme souvent lors des négociations internationales, la question du financement a été le point d’achoppement du sommet des Nations Unies sur la biodiversité, connu sous le nom de COP16. Le sommet, qui devait se terminer vendredi 1er novembre à Cali (Colombie), a joué les prolongations samedi en raison des tensions entre les pays du Nord et du Sud sur le financement de la feuille de route adoptée par l’humanité – accord de Kunming-Montréal – il y a deux ans pour stopper la destruction de la nature d’ici 2030.
« Si des décisions n’ont pas été adoptées, c’est parce qu’il n’y a toujours pas assez de confiance et de compréhension entre les États, a conclu Susana Muhamad, la présidente colombienne de la COP16. Bien sûr, cela rend plus faible et plus lent le potentiel » du processus onusien.
Échec des négociations sur le mécanisme de financement Nord-Sud
Les 196 États signataires de la Conventions des nations unies sur la diversité biologique (CDB) devaient se mettre d’accord sur les objectifs de l’accord de Kunming-Montréal de 2022, dont la protection de 30 % des mers et des terres ou encore la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés… Avec des questions fondamentales : quels critères de suivi ? Qui paie ? Combien ? Dans quel fonds ? Comment distribuer l’argent ? Et notamment comment atteindre d’ici 2030 l’objectif de porter à 200 milliards de dollars par an les dépenses mondiales pour sauver la nature. C’était le sujet le plus explosif de la conférence.
Pour y parvenir, la présidence colombienne avait présenté une feuille de route incluant la création d’un nouveau fonds pour la nature. Une proposition soutenue par les pays en développement qui jugent ceux existants inaccessibles et inéquitables. Ce qu’ont refusé les pays riches, hostiles à la multiplication des fonds multilatéraux d’aide au développement qu’ils jugent coûteux et n’augmentant pas le montant global versé par les donateurs. Après douze jours de discussions, les positions sont restées figées, entérinant un constat d’échec.
La question des financements et de l’accès au fonds avait déjà achoppé lors de la COP15, un « obstacle majeur jusqu’au dernier moment sur l’adoption du cadre mondial » analysait Juliette Landry, chercheuse spécialiste des questions de gouvernance de la biodiversité à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), quelques jours avant la fin du sommet.
« Ce signal négatif va retentir sur les autres négociations environnementales d’ici la fin de l’année, car il met en évidence un profond désaccord sur la possibilité même, politique et technique, de faire des transferts Nord Sud d’une manière entièrement différente de ce qui se faisait jusqu’à maintenant », analyse Sébastien Treyer, directeur de IDDRI. Cette bataille financière Nord-Sud reprendra en effet rapidement, dès le 11 novembre, lors de la COP climat, en Azerbaïdjan. Et portera sur des montants dix fois plus élevés.
Pas de détail sur les mécanismes de suivi de l’accord de Kunming-Montréal
Déplorant que la question du financement de la biodiversité n’ait pas progressé lors de cette COP, le cabinet de la ministre de la Transition écologique s’est, de son côté, néanmoins félicité des nouvelles promesses de dons destinés à consolider le Fonds-cadre mondial pour la biodiversité (GBFF en anglais). Huit pays – l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, la province canadienne du Québec et la France – ont annoncé leur intention de l’abonder pour un total de 163 millions de dollars, ce qui porterait l’enveloppe globale à environ 400 millions de dollars.
Les pays ont également échoué à adopter des règles ambitieuses et des indicateurs fiables censés vérifier la réalité de leurs efforts à la COP17, qui se tiendra en 2026 en Arménie. Vendredi, seuls quarante-quatre des 196 membres de la CDB avaient soumis leur plan national d’action en faveur de la biodiversité, et 119 avaient présenté des engagements sur une partie des cibles de l’accord de Kunming-Montréal.
« C’était, avec le financement, l’enjeu principal de cette COP. Nous regrettons que les discussions n’aient pas permis d’aboutir à l’optimisation complète du cadre. C’est dommage car cela permettait de mettre en place une structure pour les pays engagés à défendre 30 % des terres et des mers d’ici 2030 » a réagi le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.
Le séquençage génétique, au cœur d’une transition juste
Un compromis a cependant été trouvé le dernier jour des négociations sur l’autre sujet épineux, à savoir le partage équitable des bénéfices réalisés par des entreprises à partir des « informations de séquençage numérique sur les ressources génétiques » (DSI en anglais), véritable serpent de mer des COP sur la biodiversité.
Ces données, issues souvent d’espèces présentes dans les pays pauvres, sont utilisées dans la fabrication de médicaments ou de cosmétiques qui peuvent rapporter énormément. Mais peu de bénéfices reviennent aux communautés d’origine. La vanille qui parfume les glaces, synthétisée en laboratoire, est ainsi dérivée du séquençage génétique d’une plante autrefois connue seulement d’une tribu mexicaine. Le « pillage » des richesses des pays en développement, « c’est le problème que nous essayons tous de résoudre ici », a déclaré en plénière le représentant du Brésil.
Auparavant, la redistribution des bénéfices qui en était tirée était régie par le protocole de Nagoya de 2010. La numérisation a changé la donne, et l’encadrement restait à construire. La COP15 biodiversité en 2022 avait acté la création d’un fonds réclamé de longue date, mais son fonctionnement restait à déterminer. Baptisé « Fonds Cali », il devrait être abondé par les entreprises faisant des bénéfices grâce au génome numérisé de plantes ou d’animaux issus des pays en développement à des hauteurs indicatives de 1 % des bénéfices ou de 0,1 % des revenus, selon le document. Elles « devraient verser une proportion de leurs profits ou revenus au fonds mondial ».
Placé sous l’égide de l’ONU, le fonds répartira l’argent, moitié pour les pays en développement, moitié pour les peuples autochtones. Seul bémol, cette contribution restera volontaire, aucune contrainte ne pesant sur les entreprises concernées… Et comme l’a souligné Sébastien Treyer, de l’Iddri, « les fonds existants – le fonds pour l’environnement mondial créé en 1991, le fonds pour le cadre mondial pour la biodiversité créé en 2022 à la COP15, et maintenant le fond de Cali sur les ressources génétiques numérisées – vont maintenant de toute urgence devoir faire la preuve qu’ils sont à la hauteur des besoins de financement et des demandes spécifiques des pays du Sud en matière de décision et d’accès aux financements ».
Un statut renforcé des peuples autochtones dans les COP biodiversité
Au cœur des enjeux de transition juste, de financements et de partage des bénéfices, les peuples autochtones du monde, qui réclament la reconnaissance de leur rôle de gardiens de la nature, ont obtenu vendredi 1er novembre un statut renforcé dans les négociations des Nations unies sur la biodiversité. Les 196 pays réunis à Cali ont adopté vendredi en plénière la création d’un groupe permanent — un « organe subsidiaire » — destiné à assurer la représentation des peuples autochtones et des communautés locales au sein de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB).
Si Juliette Landry, de l’IDDRI, indique que les Cop biodiversité ont été « pionnières dans la reconnaissance de leurs droits humains, de leur consentement libre et éclairé quand il s’agit de mettre en place des projets », l’ONG Survival International alertait ainsi sur les conséquences de l’objectif de 30 % d’aires protégées d’ici 2030.
« La création de parcs nationaux, de réserves de faune et de flore, etc. est la plus grande menace pour les terres des autochtones et leurs droits », selon Simon Counsell consultant pour l’ONG Survival International. De même, un certain nombre de projets soutenus par les fonds ne respectent pas les droits des peuples autochtones.
« C’est un moment sans précédent dans l’histoire des accords multilatéraux sur l’environnement », s’est réjouie Camila Romero, une représentante des peuples Quechuas du Chili. Les 196 pays membres de la CDB « ont reconnu le besoin constant de notre participation pleine et effective, de nos connaissances et innovations, de notre technologie et de nos pratiques traditionnelles », a-t-elle ajouté. Les peuples autochtones sont « les gardiens de la nature », « en première ligne de la crise de la biodiversité » et leur inclusion peut « générer un dialogue plus équitable » sur le sujet, avait déclaré lundi à l’AFP la présidente de la COP16, Susana Muhamad, ministre colombienne de l’Environnement.
Sentiment d’inachevé
Une autre décision majeure, sur les océans, permettra de faciliter l’identification des zones à protéger en haute mer, dans les eaux internationales situées au-delà de celles sous juridiction nationale. Les sujets n’ayant pas été discutés devraient l’être lors d’une prochaine session de négociations, la clôture formelle des travaux de la COP16 ayant été reportée à une date ultérieure.
Peut-être, comme le relève Sébastien Treyer, le directeur de l’IDDRI, faut-il « arrêter de considérer que chacune de ces COP doit être le moment d’un accord global, d’un deal sur tous les sujets ». Quoi qu’il en soit, il reste « énormément de travail à faire ».
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