Non-content de fuir souffrances, famines, guerres, bouleversements climatiques, violations des libertés élémentaires et fondamentales, le migrant est devenu l’otage de la basse politique en eaux troubles qui inonde le continent européen.
Subrepticement, il était présent sous la table du dernier Conseil européen, alors qu’il fait déjà l’objet d’un pacte « asile-immigration » qui ne pourra être mis en œuvre que d’ici deux ans.
Concomitamment, le Premier ministre de La France accompagné de son sinistre ministre de l’Intérieur se précipitait à la frontière franco-italienne pour serrer la main de deux ministres de la coalition d’extrême droite italienne afin de bien faire comprendre qu’il n’existait plus de frontière entre la droite et l’extrême droite. Un combat commun contre les immigrés, les étrangers, les exilés les réunit.
Ceux-ci viennent de faire tomber une pile de dossiers posée sur le bureau de ce ministre de l’Intérieur afin qu’on ne parle que du « migrant » alors que les décrets de la loi le concernant votée à la fin du printemps ne sont toujours pas publiés.
Il est l’objet de toutes les vociférations, de toutes les insinuations, de toutes les accusations. Dans les médias bollorisés, il occupe le temps de commentateurs patentés pour être livré à la vindicte publique. Il est l’objet du fiel des propos tordus des droites et des extrêmes droites.
Migrant ! Oui, ce mot est devenu une abstraction langagière destinée à effrayer les foules – elles-mêmes aux prises avec des fins de mois toujours plus difficiles – par un pouvoir qui s’apprête à les spolier encore avec des augmentations d’impôts indirects, alors que les services publics sont mis en friche et asséchés.
Dans la bouche des propagateurs de haine et de racisme, le mot migrant est l’antonyme de celui d’être humain.
Ils travaillent un imaginaire qui fait des êtres humains que nous croisons dans la rue, chez le commerçant, au bureau ou à l’usine, au guichet de la poste, dans le train ou au stade, non pas comme des travailleurs, des usagers du service public, des sportifs ou comme des enfants qui feront la France qui vient, mais comme des suspects « étranges étrangers » *.
À partir de là, il devient « normal » d’affaiblir sans cesse leur accès aux droits humains fondamentaux. Comme tout être humain pourtant nous habitons la même terre, nous partageons les mêmes défis à relever pour que notre planète commune soit durable et vivable. Nous avons donc tous les mêmes droits.
Pas seulement celui de la « charité choisie » pour celles et ceux qui ont la possibilité de trouver asile dans les pays où ils cherchent refuge pour fuir les persécutions, les bombardements ou les famines engendrées par les plans d’ajustement structurels du fonds monétaire international qui asphyxie les États du Sud. De ces maux, on ne dit mot. !
Pourtant, les capitalismes prédateurs exploitent la terre et les êtres humains là-bas comme ici, provoquent des dérèglements climatiques qui assèchent ou inondent alternativement champs et habitations, répandent des déluges de fer et de feu d’un matériel militaire de plus en plus sophistiqué pour mater des populations, piller leurs richesses, les coloniser tout en enrichissant un complexe militaro-industriel qui ne s’est pas si bien porté depuis longtemps. Personne n’en parle !
Si l’argent grillé dans cette course à la mort et à la destruction était utilisé pour la vie humaine et l’environnement, celles et ceux qui sont contraints de migrer pourraient construire leur cocon de bonheur là où ils sont nés.
Le migrant, la migrante n’est donc pas une femme ou un homme en fuite. C’est une personne poussée au déracinement. Le migrant n’est pas « illégal », il est soustrait au droit humain. Il n’est ni un clandestin, ni un profiteur, ni une vague, ni un appel d’air, ni une submersion, il est une personne humaine.
Réfugié-e-. Le mot interpelle. Alors que le qualificatif de « migrant » entretient tous les fantasmes, ouvre la porte à toutes les peurs, justifie les murs physiques, les glacis de pierre pour fortifier les banquises de l’esprit.
Le migrant Migrante transformé-es- tranformés tantôt en travailleurs – euses- « détachés », tantôt en travailleuses-eurs- « sans-papiers » faisait tourner nos usines automobiles, et nos mines, ramassent au petit matin les poubelles, nettoient les bureaux et les écoles quand la ville dort encore, creusent les tunnels du métro, et ont préparé les installations des villages olympiques sans que personne ne trouve le temps de les remercier.
Les maîtres ne remercient jamais. Ils exploitent, ils tirent la sueur et la fatigue de celles et ceux qu’ils considèrent dans les bavardages des dîners mondains comme des « parasites » qui au passage servent à faire accepter les rapports de domination du capital sur le travail.
Le maitre-capitaliste, celui qui en ce moment se démène tant contre le début d’un soupçon de justice fiscale considère qu’il peut acheter la force de travail d’un blanc comme d’un noir au prix qu’il fixe lui-même. Les plus-values qu’il en tire n’ont qu’une seule couleur : l’argent, l’argent qui brille, l’argent qui circule à la vitesse de la lumière, l’argent qui grossit les patrimoines et boursoufle les paradis fiscaux.
Ces maîtres, qui veulent nous faire bêler « j’aime ma boîte » réclament une immigration « choisie » corvéable, jetable, exploitable à merci. Une immigration utilitaire qui permet d’entretenir toujours plus la division et la concurrence des travailleurs et travailleuses entre elles et entre eux pour peser sur les salaires de toutes et de tous, quelle que soit leur nationalité, leur religion, leur opinion.
L’incroyable sollicitude dont fait l’objet le migrant-réfugié a conduit des gouvernements successifs à produire trente-deux lois sur l’immigration et les étrangers depuis l’année 1980. L’empilement législatif est vertigineux depuis les textes fondateurs du Conseil National de la Résistance et de son gouvernement de 1945 : cent quinze modifications législatives. Oui, 115 modifications, sans compter les palanquées d’ordonnances, d’arrêtés, de circulaires, de décrets.
Une sédimentation législative qui s’est accélérée depuis 1970 afin d’entretenir un brûlant et abject débat autour de l’immigration. De bonnes âmes ont tenté d’expliquer qu’il s’agissait de contenir l’expansion de l’extrême droite. Or, celle-ci a progressé au fur et à mesure de l’amoncellement des textes. On ne combat pas un poison en reprenant sa composition mortifère.
Aujourd’hui, le réactionnaire ministre de l’Intérieur veut franchir un pas supplémentaire contre les droits humains et les principes initiaux de notre République : augmenter les expulsions, allonger la durée de rétention, restreindre le regroupement familial, remettre en cause le droit du sol et l’aide médicale d’État (AME), et passer un premier cran vers le principe de préférence nationale.
Ce ministre agit par conviction anti-démocratique et anti-républicaine avec l’assentiment du Premier ministre dans l’objectif d’obtenir la neutralité des députés d’extrême droite lors du vote du budget de la nation. Quel abject calcul.
Le migrant, la migrante, les réfugiés sont ainsi utilisés comme variable d’ajustement d’une politique antisociale et ultra-réactionnaire cohérente s’écartant de plus en plus des fondements républicains.
À celles et ceux qui doutent. À celles et ceux qui croient parfois aux thèses des cultivateurs de fumier raciste, posons des questions simples : le migrant est-il responsable de la vente de la fabrication du Doliprane à un fond financier américain ? Le réfugié, est-il coupable des fermetures d’usines, des 65 000 faillites de petites entreprises en cours, du manque de médecins et de l’asphyxie de l’hôpital ? Migrants, réfugiés, exilés sont-ils les décisionnaires des 180 plans de licenciements en cours, du déchiquetage des services publics sur l’autel de l’austérité, des 1 000 milliards de dettes publiques nouvelles créées depuis 2019 ? Sont-ils la cause de la fermeture de deux exploitations agricoles chaque jour ?
Non. Bien sûr que non !
La fuite en avant dans les idées et les discours méprisables, nauséabonds, déshonorants, sert à escamoter, à masquer les responsabilités d’un système qui divise et déshumanise sur tous les points du globe.
Voici que la proto-fasciste italienne qui gouverne l’Italie, Mme Meloni, vient de monter un palier dans l’escalier de l’abject. Elle veut renvoyer les réfugiés vers l’Albanie. Admiratifs, la plupart des dirigeants présents au Conseil européen ces jours derniers lui ont demandé son indigeste recette pour la copier. Après le Royaume-Uni qui veut renvoyer des immigrés au Rwanda, voici que les Pays-Bas qualifient l’Ouganda de « pays hospitalier » pour y expédier des demandeuses et demandeurs d’asile déboutés. Et notre ministre de l’Intérieur a évoqué l’Afghanistan. Le président polonais, que les médias s’évertuent à présenter comme « un modéré », demande à pouvoir suspendre le droit d’asile dans son pays.
La surenchère législative nationale et européenne sur l’immigration nous éloigne sans cesse de l’humanité : durcir, encore et toujours, les politiques migratoires et les politiques d’accueil, criminaliser les migrations sans jamais reconnaître qu’il s’agit d’un phénomène historiquement naturel ; en faisant fi des conventions internationales. Vers quels abîmes cela nous mène-t-il ?
Nier la contribution des migrations à l’histoire de France, revient à promouvoir un idéal de pureté identitaire et hexagonal mensonger : l’histoire des migrations est indissociable de l’histoire de France. Il n’y a pas « eux » et « nous », il y a une histoire commune. Il y a nos constructions communes de La France.
Nier. C’est oublier que la France n’est pas qu’un hexagone. Son histoire est marquée par la géométrie variable de son territoire : impériale, coloniale et décoloniale. N’a-t-elle pas avec d’autres pays européens des comptes à rendre aux peuples colonisés, spoliés, violentés ? Un devoir de réparation et de solidarité ?
Maintes fois redéfinis à travers les politiques de naturalisation et différentes déclinaisons du droit du sol, la notion même d’identité française ne peut être réduite à une vision, étroite, erronée et fantasmagorique.
La France n’est pas menacée par un désordre mondial dont les migrations constitueraient la principale menace. Ce sont ses dirigeants qui l’insèrent dans un bloc occidental capitaliste au détriment de ses travailleurs et de l’avenir de sa jeunesse, au lieu de cultiver la paix, la solidarité avec les peuples et les nations. Au lieu d’impulser des initiatives coopératives portant le développement humain partout sur la planète, la préservation de nos écosystèmes et du climat comme étendard. Une France qui penserait le monde à partir de notre commune humanité.
L’expérience guerrière de l’Europe devrait nous enseigner que lorsque dépérit l’humanité, le nationalisme destructeur se fortifie.
Le désordre mondial ne trouve pas ses origines dans les migrations. Il naît des guerres militaires et des guerres économiques intra-capitalistes. Il grandit de la domination mondiale du capital sur le travail. Il prospère sur la concurrence forcenée, le pillage des matières premières et des richesses des pays du sud, les dérèglements climatiques, la juteuse course aux armements, la voracité des marchés financiers et leurs spéculations compétitives, l’accaparement des matières fossiles qui elle-même contribue aux dérèglements climatiques. Il grossit par la privation des souverainetés alimentaire et énergétique.
Autant d’éléments d’une stratégie de prédation qui pousse à l’exode, avec son lot de souffrances, de malheurs et de périlleux voyage s’achevant dans les flots de la Méditerranée ou dans les eaux glacées de la Manche.
Les responsables du malheur usent des pires venins pour détourner les regards de leurs responsabilités. Ils attisent la peur, cette ennemie de la raison.
Retenons l’enseignement d’Aimé Césaire : « La malédiction la plus commune est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte ».
Oui, croiser un migrant, c’est rencontrer une femme, un homme, un enfant. Il est urgent de reconstruire du NOUS. Nous avec eux. Eux, c’est nous ! Le migrant, la migrante, réfugié-e-, exilé-e- est un enrichissement.
* Étranges étrangers, Jacques Prévert, 1951.