« À l’heure où des intempéries dévastent l’ensemble du territoire français, où les files d’attente des distributions de colis alimentaires solidaires ont triplé, (…) pendant que les fortunes françaises ont augmenté de 400 %, (…) les personnalités politiques tentent de nous faire croire que le principal danger viendrait, à pied, de l’étranger. » Ce sont les mots publiés, vendredi 18 octobre, sur les réseaux sociaux, par Cédric Herrou, cofondateur d’Emmaüs Roya, à son retour d’un rassemblement à la frontière franco-italienne.
Le premier ministre, Michel Barnier, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et leurs confrères transalpins, membres du gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, ont, ce jour-là, décidé d’y organiser une séance de selfies devant sceller leur collaboration dans leur lutte obstinée contre les immigrés.
« Le problème n’est pas l’immigration », ont protesté plusieurs dizaines de personnes sur place. Aucun citoyen n’est venu applaudir la mise en scène gouvernementale. Signe qu’il serait peut-être temps de s’attaquer aux véritables problèmes entourant la question migratoire : la précarité et les violences vécues par les exilés eux-mêmes, et leurs conséquences pour l’ensemble de la société.
Un accès égalitaire aux soins, au logement et au travail
C’est ce qui a été fait quand il a fallu accueillir les réfugiés ukrainiens. Face au drame vécu par ces populations meurtries par le retour de la guerre en Europe, l’État est très rapidement parvenu à mettre en place un dispositif leur permettant d’accéder aux soins, au logement, au travail et à la scolarisation des plus jeunes. Les actes de solidarité ont été encouragés.
Personne n’a eu peur d’une prétendue submersion migratoire. Cette immigration-là n’a pas été désignée comme un problème. En revanche, « on recense 9,1 millions de pauvres en France, affirme un communiqué de l’association Médecins du monde publié à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, ce 17 octobre. Parmi les difficultés qu’affrontent ces millions de personnes, (…) être soigné est de plus en plus complexe. (…) La plupart sont exilées ». Et cela a des conséquences pour toute la société quand elles développent, par exemple, des maladies contagieuses. C’est une réalité sur laquelle alertent bon nombre de scientifiques face à la menace de suppression de l’aide médicale d’État voulue par le nouveau gouvernement.
Le bon sens devrait s’appliquer pour cette question sanitaire comme pour d’autres. Le meilleur moyen d’éviter la création de campements insalubres est de créer un nombre de places d’hébergement d’urgence suffisant, qui permette aux exilés de sortir de la rue, tout en faisant en sorte qu’un autre regard soit porté sur ces populations traumatisées.
Dans le même esprit, donner plus rapidement aux demandeurs d’asile le droit de travailler est un des leviers pour réduire la pauvreté des personnes exilées, augmentant en même temps le nombre de cotisations sociales utiles à toute la société.
Faciliter les régularisations par le travail
La société en a pris conscience durant la crise du Covid : les tâches indispensables à la vie commune sont pour beaucoup assurées par des travailleurs immigrés. On les a appelés, par la suite, « les métiers en tension », puisqu’en effet, dans bon nombre des secteurs concernés, les employeurs peinent à embaucher.
Pour les syndicats, la régularisation des travailleurs sans papiers répond au principe de justice sociale et garantit l’égalité des droits de tous les travailleurs. « Ça arrange une partie du patronat que, sur certains métiers, on ait des travailleurs qui acceptent n’importe quelles conditions sans pouvoir se plaindre de quoi que ce soit parce qu’ils n’ont pas de papiers, s’agace Gérard Ré, membre du bureau confédéral de la CGT. Des secteurs entiers s’appuient sur ces travailleurs et n’ont surtout pas envie qu’ils soient régularisés, parce que quelqu’un qui n’a pas de papiers aura plus de difficultés pour faire valoir ses droits. C’est une rupture d’égalité qui concerne tous les travailleurs. »
La régularisation des travailleurs sans papiers est une solution de bon sens. Au lieu de cela, les membres du gouvernement Barnier expliquent qu’il faudrait supprimer la circulaire Valls, un des seuls outils facilitant, au coup par coup, ces régularisations pour le travail.
L’amalgame immigration et insécurité
« Dans sa déclaration de politique générale (…), le premier ministre a annoncé vouloir « lutter contre le racisme » et traiter le sujet de l’immigration avec dignité, mais il se contredit aussitôt en prévoyant d’augmenter la durée maximale légale de rétention, d’empêcher les personnes exilées de franchir les frontières, et en faisant peser sur elles toutes les suspicions. » Plusieurs dizaines d’associations se sont insurgées en ces termes, début octobre, dans un communiqué commun. Mais, dans les médias dominants, l’amalgame entre immigration et insécurité est distillé de façon continue. Et, là aussi, l’État agit contre le bon sens.
En employant depuis bientôt dix ans, de façon permanente, des centaines d’agents de police et de gendarmerie à la frontière franco-italienne, au nom de la lutte antiterroriste, pour pratiquer des contrôles au faciès et renvoyer des personnes devant légalement pouvoir demander l’asile, les autorités ne font que renforcer les fantasmes xénophobes et privent par la même occasion les forces de sécurité de moyens dans une lutte véritable contre le crime organisé. Il en va de même avec l’instrumentalisation de faits divers tels que le viol et l’assassinat de Philippine.
Le gouvernement et les médias d’extrême droite expliquent à longueur d’antenne que l’allongement de la durée de rétention administrative serait la solution face aux violences sexuelles parce que les immigrés sous OQTF en seraient des auteurs, tout comme ils seraient à l’origine du trafic de drogue et de multiples autres troubles à l’ordre public.
Mais quand a lieu un procès comme celui des violeurs de Mazan, on comprend bien que les violences sexuelles n’ont rien à voir avec l’immigration. Les moyens colossaux mobilisés pour l’enfermement de personnes en situation irrégulière et pour leur expulsion seraient sans doute plus utiles en étant investis dans la lutte contre les violences faites aux femmes et toutes les autres formes de criminalité. Sur ce sujet non plus, l’immigration n’est pas le problème.
Renforcer le soutien aux associations, une nécessité
Un des enjeux d’une société égalitaire est l’intégration des personnes qu’elle accueille. Dans cette perspective, le rôle des associations, dans les domaines sportifs, culturel, dans l’apprentissage de la langue ou l’aide à la parentalité est primordial.
« La peur de l’immigration est créée par nos politiques, accuse Cédric Herrou. Au sein d’Emmaüs Roya, avec les exilés qui s’y impliquent, on fait de l’agriculture, des petites choses, on fabrique des produits de qualité et il n’y a finalement aucun problème de voisinage. Le problème n’est pas le nombre. C’est l’investissement fait en termes d’inclusion, parce qu’on ne peut pas demander à des gens de s’intégrer si on ne les inclut pas. »
Mais les débats actuels sur le budget de la nation montrent que l’État agit, sur cette question aussi, en dépit du bon sens, en rognant notamment le financement des associations et celui des collectivités locales, avec pour conséquences de nombreuses suppressions d’emplois.
Pourtant, « quand on pratique un sport, on ne parle plus de classe sociale, d’origine ou de religion, poursuit l’agriculteur solidaire. On joue ensemble. La culture, c’est pareil. Ça ne sert pas juste à faire du beau. Ça permet de se retrouver autour d’une œuvre pour vivre des émotions ensemble. Et ça, c’est le monde associatif qui le propose. » C’est aussi l’action citoyenne qui pallie les défaillances de l’État en termes d’accompagnement scolaire, par exemple, ou qui aide les étrangers dans leurs démarches administratives.
Le bon sens, l’égalité et la cohésion sociale ne font clairement pas partie du projet du gouvernement. Attiser les peurs à partir de la question migratoire est bien plus efficace d’un point de vue électoraliste. L’extrême droite use de cette stratégie depuis trente ans. Elle est maintenant aux portes du pouvoir.
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