À son retour de déportation, Nuta Rychter n’a rien raconté. Ni à sa femme ni à ses enfants. Un grand silence s’est abattu sur sa famille. Au point, confie aujourd’hui son arrière-petit-fils Charles Duquesnoy, que la fille de Nuta, Mia, a longtemps porté « la honte d’être la fille d’un déporté, et refusé de parler yiddish ». En 2022, bien après la mort de son aïeul, Charles, professeur à Paris et tout juste 34 ans alors, s’est ému auprès de sa mère Joëlle de ce mystère familial. Joëlle a acquiescé et donné à son fils les seuls indices en sa possession : Nuta Rychter avait 42 ans quand il a été déporté, il était cordonnier, vivait dans le 19e arrondissement de Paris, a connu Henri Krasucki, qui avait alors 19 ans, en déportation.
Surtout, lui révèle-t-elle, le nom de Nuta Rychter est inscrit sur le mur des noms du Mémorial de la Shoah. Charles est allé le constater, et s’est retrouvé « complètement perdu, à l’accueil ». Il a avisé les deux jeunes femmes qui se tenaient derrière le comptoir, et a bafouillé un « Bonjour, mon histoire est particulière : je ne sais rien ». « Tous ceux qui entament des recherches arrivent avec ces mots », constate aujourd’hui dans un sourire le jeune professeur parisien.
Un catalogue de 235 609 fiches
Avec chaleur et délicatesse, les deux hôtesses ont orienté le jeune homme au 4e étage du Mémorial, aux archives. Où a commencé une sorte de reconstitution de la vie de Nuta pendant ces années sombres de la Shoah. « Avec les documentalistes chargées de la permanence en salle de lecture, Laure et Yaël, nous avons tapé le nom, et sont sortis directement cinq ou six documents », entre septembre 1942 et mai 1945.
Les toutes premières pièces d’un puzzle que Charles a commencé à reconstituer, en y consacrant tous ses mercredis, tous ses dimanches, et parfois même le samedi et même ses nuits. Une sorte de résolution de cold case, constituée de tableaux, et de recherches en Pologne, en France, en Israël, aux États-Unis. Une course haletante contre l’histoire qui commence par l’examen des « fichiers », pour retrouver la trace des déportés pendant la guerre.