« Nous n’avons jamais rencontré autant de ménages sans aucune ressource », alerte le Secours catholique. De fait, 25 % des 1 060 000 personnes aidées l’année dernière par l’ONG survivent uniquement grâce à la débrouille. Dans son rapport annuel, publié le 14 novembre, l’organisation jette une lumière crue sur le visage de la pauvreté en France.
En 2023, le niveau de vie médian des ménages fréquentant le Secours catholique s’établit à 555 euros par mois, en recul de 19 euros par rapport à 2022. 95 % d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, et 74 % en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Les demandes concernent essentiellement la nourriture (46 %) et de l’aide pour payer les factures – 46,1 % des ménages étant en situation d’impayés.
Ce sont principalement des familles monoparentales, de nationalité française (78 %), vivant plutôt dans le parc social, avec des ressources insuffisantes (765 euros en moyenne) pour subvenir aux dépenses quotidiennes. Autres enseignements : la pauvreté continue de se féminiser (56,7 % des personnes rencontrées sont des femmes), avec une forte proportion de mères isolées. Un tiers des bénéficiaires sont des jeunes de moins de 15 ans.
Les ménages étrangers touchent moins de prestations sociales
Ce qui attire l’attention, c’est l’explosion du nombre de ménages rencontrés qui vivent sans ressources financières (25,4 % en 2023 contre 15,5 % en 2013) et la baisse de la proportion d’allocataires de certaines prestations ou revenus sociaux. Entre 2013 et 2023, le taux de ménages touchant le RSA est passé de 45 à 33 %, celui des destinataires d’une aide au logement a chuté de 74 à 52 %.
Même la part des ménages touchant des allocations familiales s’est réduite de 35 à 25 %. Enfin, le taux d’allocataires de l’assurance-chômage passe de 18 à 16 % en deux ans. « La solidarité nationale (…) s’effrite au fur et à mesure des années et des gouvernements », remarquent les auteurs.
Et pour cause ! Une part croissante de la population n’y a pas ou plus droit. « L’absence de toute prestation pour les ménages étrangers sans titre de séjour se traduit par la proportion toujours plus grande d’hommes, de femmes et d’enfants qui vivent sur notre sol dans le plus total dénuement », pointe le rapport. Le recul de l’accès à certains droits est aussi le résultat du durcissement des critères d’éligibilité décidé ces dernières années par les gouvernements, concernant les APL, le RSA et les allocations chômage.
L’éloignement des guichets des CAF ou de France Travail les rend inaccessibles pour les plus pauvres. Et la dématérialisation des démarches administratives complique la donne. « 60 % des personnes que nous rencontrons ont subi un problème de santé, une séparation, perdu leur emploi… Le plus dur, c’est de se retrouver seul devant un écran d’ordinateur qui ne veut rien comprendre à votre situation, sans personne pour vous guider afin d’obtenir une allocation qui vous est due », explique Didier Duriez, le président du Secours catholique.
Des procédures décourageantes
La dématérialisation a aussi accentué l’exclusion des personnes qui ne rentrent pas dans les cases. « Quand notre situation n’est pas habituelle, on ne peut l’expliquer à personne, et quand c’est possible, la personne ne sait pas faire », témoigne Corinne, qui a passé dix-neuf mois sans ressources en raison d’un malentendu avec la CAF.
Après le décès de ses parents dont elle s’est occupée après des années passées en Irlande, cette Normande de 56 ans s’est retrouvée sans rien. Elle tente de s’inscrire à France Travail pour toucher le RSA. Impossible sans l’attestation de son dernier employeur.
Or, celui-ci ne peut pas la fournir puisqu’il s’agissait de son père, décédé, dont elle était aidante. Mais ça, France Travail ne l’entend pas. La situation finit par se débloquer… Mais, quelques mois après, son RSA n’est plus versé, la CAF partant du principe que Corinne avait reçu une importante somme d’argent – 8 000 euros versés par le notaire pour payer les dettes de son défunt père. Renseignements pris, elle n’aurait jamais dû déclarer cette somme à la CAF.
Cette erreur, induite par un agent de la CAF, lui aura valu de passer un an et demi sans chauffage, en ne mangeant parfois que quelques figues de son jardin. « Et pourtant, je parle plusieurs langues et sais me servir d’un ordinateur », ajoute-t-elle.
Cette difficulté d’accès aux prestations sociales produit du découragement, qui se traduit par une explosion du non-recours. Au sein des ménages rencontrés par l’association, le non-recours au RSA a augmenté de 10 points en treize ans. La réforme du RSA a aggravé la situation, avec une augmentation de 10,8 % en un an du non-recours dans les 18 départements qui expérimentent le dispositif.
De même, en 2023, 24 % des ménages français éligibles rencontrés ne percevaient pas les allocations familiales, contre 15 % en 2010. Le chiffre atteint même 42 % chez les ménages étrangers éligibles. L’Aspa (minimum vieillesse), enfin, reste l’une des prestations où le taux de non-recours est le plus élevé, atteignant 36,6 %.
« Renforcer les filets de solidarité n’est pas tant une question de moyens que de choix politique. La couverture des risques liés à la pauvreté et l’exclusion sociale ne représente que 3,9 % des dépenses de la protection sociale en 2022, et le déséquilibre du budget de l’État et de certaines caisses de la Sécurité sociale doit beaucoup à la multiplication des exonérations sociales et fiscales », tacle le rapport du Secours catholique.
Une culpabilisation croissante
Ses auteurs pointent également la banalisation d’une « culpabilisation des personnes les plus vulnérables, traitées d’« assistées » qui, depuis 2010, contribue à un tournant dans les réformes qui ne cessent de durcir les critères d’éligibilité (…) et réduire les montants alloués ».
Le Secours catholique préconise « d’autres choix politiques ». En termes de mesures concrètes, cela pourrait passer par l’augmentation du RSA à la mesure de l’inflation et la non-généralisation de sa réforme en cours d’expérimentation ; la garantie d’un accès physique aux administrations. « En permettant aux allocataires d’avoir toujours quelqu’un à qui parler pour expliquer leur situation, on évite, par le dialogue, les ruptures de droits », notent les auteurs du rapport.
Enfin, devant la hausse de la part des ménages sans ressources financières, l’ONG plaide pour « le renforcement d’un socle de droits essentiels universels et donc garantis à toute personne résidant en France, quel que soit son statut de résidence ». Autant de mesures de bon sens, à rebours des politiques publiques actuelles.
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